Vacarme 36 / cahier

sport

épilogue

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C’est une prière. C’est difficile à envisager, à admettre et à analyser mais ce que j’ai fait ce jour-là c’est une prière. Je relis l’article dans le Vacarme numéro 27, printemps 2004. J’écris littéralement « je vais lui faire parvenir une demande officielle et j’écrirai dans Vacarme ce que j’aurai fait ou pas pour parler avec Vikash Dhorasoo ». Je n’écris plus ce sera très intéressant car mon engouement pour Gertrude Stein s’est déplacé vers William Faulkner. Toujours est il que Vikash et moi n’avons cessé de parler depuis. L’aspect insolite de notre rencontre. Il pense qu’il n’y a pas lieu de le considérer comme un intellectuel. Effectivement, Vacarme lui est tombé entre les mains par hasard (sa femme l’avait acheté parce que sa sœur plasticienne avait collaboré à ce numéro) mais c’est entre ses mains qu’il est tombé.

Nous n’avons cessé de nous parler depuis et voilà maintenant qu’il est sélectionné en équipe de France pour la Coupe du monde en Allemagne. Au moment où j’écris, la compétition n’est pas encore commencée, mais il est déjà détesté et conspué par le public français. Au niveau national, les états d’âme et la complexité sont appréciés comme des obstacles à la victoire. Peut-être même comme des obstacles à l’expression de la nationalité française. La France du foot voudrait une équipe de Ribéry, c’est étrange. Thuram à genoux au milieu du terrain, un doigt sur les lèvres après son but contre la Croatie en 1998 c’est tout de même bien de l’ordre des états d’âme et de la complexité. Et Cantona et Maradona ? Les états d’âme, la complexité et les paradoxes qui en découlent sont restés la matière privilégiée de tous mes travaux, j’ai donc proposé à Vikash de faire un film avec lui jusqu’à l’élimination de l’équipe de France. Je ne peux le dire que dans Vacarme. L’omniprésence de la presse, les contrats d’image pour faire des films ou les chroniques que les joueurs avaient acceptés ont été dénoncés comme la cause principale du fiasco de 2002 en Corée. Les joueurs ont donc scellé un pacte entre eux ; rien de tout ça cette fois-ci. Alors je ne peux l’écrire que dans Vacarme à moins que cela tombe entre les mains de Ray Domenech mais j’ai l’impression d’avoir épuisé mon quota de statistiques miracule¬uses. Coincé entre l’hymne à la dramaturgie sportive des Yeux Dans Les Bleus et les téléobjectifs de la NASA de Zidane, un Portrait du XXIe siècle, je me sens à ma place en réalisant quasi clandestinement un film en Super 8 avec les images-miettes tombées du gâteau de l’exclusivité Sportfive et ZDF. J’ai donné des caméras Super 8 à Vikash. Il filme sa chambre, il se filme, il filme ce qu’il veut. Il n’est pas libre, il est sous pression, il peut filmer ce qu’il veut. Nous parlons, nous n’avons cessé de parler depuis le printemps 2004. Et moi, je filme ce qu’on peut filmer quand on est en Allemagne et qu’on ne peut pas rencontrer la personne qui constitue le sujet du film. Il est déjà hué, déjà détesté et l’histoire du film commence à peine à s’écrire.

Il y a deux ans, je concluais mon article en citant Vikash qui disait que tout ce qu’il faisait en dehors du foot c’était pour mieux jouer. Espérons que ce soit le cas de la caméra Super 8 que Vacarme a glissée dans son sac.

Post-scriptum

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