Vacarme 36 / cahier

Suite du journal d’une association, Val Avenir, créée à Sainte-Marie-les-Mines pour inventer une réplique à l’implantation électorale de l’extrême droite à travers le conseiller général d’« Alsace d’abord », Christian Chaton. Ou comment une initiative citoyenne, aussi soucieuse de répondre à cette dérive représentative que défiante envers la représentation, tâche de naviguer entre ses paradoxes et de retourner ses dilemmes en autant de projets.

mars 2006

Un samedi matin, passe devant le local de l’association Jean-Louis Christ, député UMP et maire de Ribeauvillé. Il est venu à Sainte-Marie pour une inauguration. S’arrête devant notre vitrine où est affiché notre texte dénonçant la « soupe de la honte » — en réponse à cette « soupe au cochon », à cette soupe populaire discriminatoire qu’organise à Strasbourg le parti Alsace d’abord. Jean-Louis Christ lit, prend son temps, s’éloigne.

Il revient un peu plus tard, nouvel arrêt devant la vitrine ; on l’invite à prendre un café. Jean-Louis Christ est un jeune député, de ceux dont on dit qu’ils ont les dents longues. La petite ville dont il est maire, riche et touristique, prospère au cœur du vignoble alsacien — pas si loin de Sainte-Marie-aux-Mines, mais à mille lieues en un sens. Sa circonscription englobe une partie de Colmar, le vignoble et deux vallées plus pauvres dont celle de Sainte-Marie. On dit de lui qu’il est UMP avec une sensibilité écolo, et « plutôt centre-gauche » : dans cette région d’Alsace où il n’y a jamais d’élus de gauche — la seule exception, au temps du passé ouvrier de la ville, ce furent justement les maires SFIO de Sainte-Marie — l’UMP a peu à peu gagné tout l’espace occupé traditionnellement par les démocrates-chrétiens puis l’UDF. L’Alsace, qui était centriste, est devenue un fief de l’UMP.

Christ nous pose des questions sur l’association, et commence rapidement à tenir un discours très virulent contre l’extrême droite. Sait-il qui nous sommes ? Est-ce une manœuvre politique ? Est-ce sa conviction ? Son arrivée est une surprise : c’est la première fois qu’un élu vient vers nous. Ceux de la vallée sont méfiants. Lorsqu’on a organisé, en automne dernier, une journée sur l’extrême droite au foyer du théâtre, en réunissant des universitaires et des journalistes spécialistes de la question, pas un seul élu ne s’était déplacé.

Christ est déjà connu pour ses interventions face à Chaton. Autour du café, il nous rappelle celle qui fit le tour de la presse régionale. Lors d’un rassemblement, le 11 novembre, devant le monument aux morts, Chaton y allait fort sur l’air de « Si nos ancêtres voyaient où on en est aujourd’hui... ». À quoi Christ rétorqua bien haut : « On ne prend pas les morts en otage de ce qui se passe aujourd’hui ». Une riposte — il n’y en a pas si souvent. Citant cet épisode, Christ nous déclare que face à l’extrême droite, sur le terrain, sa conviction est que l’étiquette politique ne compte pas, que seules prévalent les idées à défendre et le refus de toute compromission. Il dit s’intéresser au travail de l’association, à sa manière de se situer « sur le terrain », justement. Avant de partir, il nous demande d’adhérer et propose de nous soutenir financièrement.

Décision d’examiner cette demande en CA.

la semaine suivante

Au CA, deux réactions s’opposent. L’une, tentée : — pour une fois qu’un élu s’intéresse à nous et vient vers nous, on ne va pas le rejeter ; l’autre, inquiète : — mais s’il est membre, il peut suivre toutes nos réflexions, y compris sur cette idée, plusieurs fois avancée, de s’engager pour les prochaines municipales... et c’est peut-être malvenu qu’un élu comme lui soit au fait de nos discussions sur une démarche électorale. Il faut garder notre autonomie face aux partis politiques...

Long débat. « — Ils vont dire qu’on est récupéré par l’UMP ! — Quand Catherine Trautman est venue, les mêmes ont bien dit qu’on était une officine du PS... » À la fin, une idée émerge : lui demander, justement, de venir débattre de cette crise, de ce divorce de plus en plus grand entre élus et citoyens, de ses conséquences administratives, économiques, autant sur le plan régional que national. Débattre de ce qui concerne la décentralisation et la mondialisation : au fond, qui gouverne ? Quel est le pouvoir des élus ? Quel est leur pouvoir régional, cantonal, municipal, national face à la primauté de l’économique sur le politique ? Voilà : parler de cela. Au niveau local, l’intercommunalité crée une grande confusion. L’exemple le plus récent concerne l’ouverture d’un « parc minier », complexe touristique à la sortie de la ville. Les travaux ont débuté. C’est un gros chantier, décidé et financé par la communauté de communes qui regroupe les quatre villes de la vallée, alors que le projet concerne seulement Sainte-Marie, où personne n’y croit. Et puis il y a ce « non » au référendum, très majoritaire ici — ce dont Chaton s’est largement félicité.

Date est fixée, le débat aura lieu le 2 juin. Nous avons décidé d’inviter le député Christ : il est du parti de Chirac, il sait ce qu’il fait, et qu’il va au casse-pipe. Mais il est d’accord. Et puis, on prend un malin plaisir, il est vrai, à couper l’herbe sous le pied de ceux qui ne savent que nous traiter de « gauchistes »...

demain

L’échéance municipale. Jamais on n’avait pensé qu’il faudrait en parler autant, que cela exigerait autant de temps. Mais nous sommes devant la vraie difficulté qui consiste à construire un projet concret. Se fait de plus en plus jour l’écart entre une démarche associative, citoyenne, comme la nôtre et la démarche électorale. Rassembler assez de personnes autour d’un projet qui puisse les soutenir et être soutenu par elles, c’est très compliqué. C’est très riche aussi — les choses seraient différentes, sans doute, s’il suffisait de porter l’ambition politique d’un seul.

Le problème n’est pas de « ne pas se précipiter » ; ce qu’il faut, c’est abriter, protéger encore l’attention exigeante que ces discussions déplient. Même s’il faudra, à la fin, que l’un d’entre nous se présente, ce que nous cherchons à construire c’est un projet collectif, un accord sur des options, des orientations, des choix politiques pour cette vallée. Par exemple, sur le fonctionnement de la démocratie locale : nous sommes intimement convaincus que si l’extrême droite est passée, c’est que cette démocratie ne fonctionne plus, que les élus ont cessé de jouer le jeu du débat. Ou sur le cadre de vie, par exemple sur les forêts : Sainte-Marie est la première commune forestière du département. Comment ça fonctionne en termes écologiques, économiques, touristiques ? On réfléchit aussi à la fameuse RN 59, aux modes de transports qui relient la ville à la plaine. Que faut-il privilégier ? Les quatre voies — qui emportent l’adhésion — ou les transports en commun — qui ne sont pas si populaires que ça ?

Rassembler un noyau d’une quinzaine de personnes prêtes à s’engager à terme et à soutenir ensemble ce travail est un préalable indispensable. Peu à peu ce noyau s’est constitué. Comment allons-nous nous lancer plus avant, qui sera la tête de liste, comment nous présenterons-nous... Nous y travaillons encore.