paroles de malade

« Je suis devenu grand quand je suis tombé malade » témoignage de Marc Colmar

Marc Colmar, 38 ans, comédien de théâtre, conteur, auteur de contes.

« Alors, je peux me retrouver dans un fauteuil roulant, comme ça du jour au lendemain. » « Oh, non ! m’a répondu l’infirmière, pas d’un coup, vous aurez le temps de voir venir ». C’était en 1985, lors d’une consultation à l’hôpital Lariboisière à Paris. À ce moment-là, je n’avais pas encore mis un nom sur ma maladie, ce n’est qu’après en consultant une amie médecin que j’ai su : sclérose en plaque. C’est une maladie évolutive : on boîte, puis lentement ça se dégrade, un jour on ne marche plus du tout et on se retrouve en fauteuil. La seule chose dont on est sûr c’est qu’on ne sait pas d’où ça vient. De toutes façons, j’ai besoin de ne pas tout entendre, tout comprendre sur ma maladie.

À l’époque j’étais célibataire et mes amis m’ont porté, soutenu [il rit], dans tous les sens du terme. J’avais décidé d’être plus fort que cette saloperie. D’un côté je me disais « pourquoi moi ? » et je cherchais des réponses. De l’autre, quand je croisais des bossus ou des gens moches, je me demandais pourquoi ils n’étaient pas atteints, eux, parce que je jugeais qu’ils n’avaient rien à perdre, contrairement à moi. C’était la dualité de ma réaction. Aujourd’hui, ma compagne, Emmanuelle, et mes enfants savent qu’ils ont un mari et un père, ça suffit. Emmanuelle cherche toujours à dissocier moi et la maladie, allez savoir pourquoi... Quand les gens me voient dans la rue, ils pensent souvent que j’ai eu un accident. Mais je ne suis pas seulement handicapé : je suis malade et mon handicap en est la conséquence. C’est à la fois comme une drogue mais c’est aussi un moyen de reconnaissance, une photo d’identité et j’en ai fait un peu ma force.

Rien de mortel, simplement cette maladie rend ma vie précaire, je me sens en déséquilibre permanent. Mon avant, c’est un passé de jeune. A 26 ans, je n’avais pas le fantasme d’un vie normale, avec une famille. Je me considé-rais comme un marginal. Je suis devenu grand quand je suis devenu malade. Comme si mon normal à moi avait besoin de mon anormalité. Comme si ma santé privée avait besoin de ma maladie publique. (Tiens c’est un bon mot d’auteur, non ?).

Quand j’avais 17-18 ans, je militais pour les droits des handicapés et je me désespérais de ne pas en faire partie ou d’être ni noir, ni une femme. Aujourd’hui, j’ai trouvé ma minorité mais je n’ai plus envie de militer. La seule chose qui me mobilise relève de la pédagogie car dans ce domaine il y a beaucoup à faire. Ma maladie ne me donne pas un discours politique mais c’est peut-être parce qu’elle n’est pas médiatique et médiatisée. Oh, bien sûr il y a le Télé-thon, synonyme pour moi de « Télécon ». Ça fait appel à des sentiments privés pour gérer une question qui est de l’ordre du public et cela je ne l’apprécie pas. Je pense que les responsables politiques doivent être en contact avec les associations. Moi, je ne me sens pas plus exclu de la société que n’importe qui.