avant-propos

La liberté est un étrange objet de partage. Elle n’est complète, en effet, que si chacun peut y prendre part : être libre dans son coin, c’est être à moitié libre. Le droit d’asile accordé aux étrangers victimes de persécutions politiques n’a pas d’autre justification que cette sorte d’hospitalité sans laquelle la liberté serait méconnaissable.

La constitution montagnarde de l’an III l’énonce simplement : « Le peuple français donne asile aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté, Il la refuse aux tyrans ». Comme une expérience, un bonheur ou un deuil. La liberté n’est entière que si elle est partagée.

Ce principe est aujourd’hui en butte à une toute autre conception. Celle qui suspecte l’arrivant d’être un « partageux », prêt à voler ce qu’on est si peu sûr d’avoir. Celle du morcellement du monde, d’une découpe intangible des parts, que résume le dogme de la fermeture des frontières au prétexte de la crise de l’emploi. Le durcissement des dispositifs régissant l’entrée des réfugiés, les contorsions idéologiques d’une gauche indécise dessinent l’image curieuse d’une nation qui. pour être libre, devrait être entourée de hauts murs et grillagée de police.

Les réfugiés font l’expérience de cela : l’expérience emmêlée du partage. Partagés entre deux pays pour avoir défendu, chez eux, une liberté indivisible. Partagés entre le statut de banni et celui de travailleur, toujours suspecté de venir s ’enrichir, Endurant une seconde fois. ici. le sort peu enviable de ceux qui demandent le partage : Africains de Saint Bernard ou employées en grève de l’usine l’Épée, délogés de la même façon, ces derniers mois, à coups de haches et de gardes mobiles.

C’est qu’il n’y a rien de moins « rassembleur », rien de moins unanime que de vouloir remettre en cause la division du monde, qu’il s’agisse de liberté, de travail ou de terre. Le partage partage : c’est la règle des réfugiés, la raison de leur exil, le motif des violences qui les poursuivent jusqu’ici. On peut vouloir ignorer cette règle : on peut chercher (la gauche le fait) à mettre tout le monde d’accord, à couler son goût du partage dans le moule froid du consensus et des solutions comptables. Mais on se condamne bientôt à ne plus rien penser et à ne plus rien dire : à ne pas être à la hauteur de ceux que l’on ne sait même plus accueillir.