Vacarme 01 / démocratie

l’opposition aux abonnés absents

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L’enjeu d’un premier scrutin libre n’est pas tant de coller aux normes électorales développées en Occident, que de prendre la mesure des rapports de forces sociaux et politiques en vue de permettre la construction démocratique. Au-delà des nombreuses irrégularités constatées lors du scrutin du 20 janvier 1996, c’est la non représentation de l’opposition qui pose problème dans les premières élections palestiniennes.

D’emblée, ces élections ne pouvaient pas répondre à l’idéal démocratique. Par définition, d’abord, puisque les accords d’Oslo qui sont à l’origine de ce scrutin ne mentionnent pas la répétition à intervalle régulier du scrutin, répétition pourtant fondatrice du caractère démocratique de l’élection. Par nature, ensuite, puisque la fonction première reconnue à ce scrutin était la légitimation d’un accord international et du pouvoir portant ce dernier à bout de bras. En pratique, enfin, puisque la consultation s’est déroulée dans un univers d’atteinte aux libertés constitutives d’une élection démocratique (liberté de mouvement, liberté d’expression).

En revanche, on aurait pu attendre d’elles qu’elles fussent constitutives d’une équation démocratique en favorisant l’émergence de deux groupes concurrents dans la lutte pour l’accès aux positions de pouvoir. Faute de réelles structures de représentation, l’élection du 20 janvier semble ne pas avoir accouché de cette équation.

L’Autorité palestinienne, comme tout pouvoir digne de ce nom, a utilisé au mieux les ressources dont elle disposait pour obtenir un monopole sur la délimitation du leadership palestinien. Utilisation de leurs positions de pouvoir par les candidats membres de l’Autorité, contrôle des médias, cooptation de personnalités palestiniennes comme l’ancien responsable du Hamas, Imad Falouji (dont la validité de l’élection est vivement contestée par la rumeur), manipulation des réseaux clientélistes (à Naplouse, un représentant d’une grande famille remplaça un vainqueur des primaires du Fath), distribution de prébendes (postes dans la haute administration) pour obtenir le retrait de certains candidats... Autant de moyens mis à profit par l’Autorité palestinienne — avec l’aide d’une observation internationale qui, en voulant valider un accord diplomatique, a fini par cautionner ces abus — pour imposer sa propre définition du leadership.

Cependant, le fait que le pouvoir ait ainsi réussi à s’imposer doit être également imputé à une opposition incapable de se présenter comme une alternative crédible. Certes, des opposants emblématiques ont été brillamment élus comme Haidar Abdel Shafi ou AbdelJawad Saleh, voire Salah Tamari (exclu des listes Fath par Yasser Arafat et arrivé premier de sa circonscription), mais une réelle opposition à Arafat a brillé par son absence.

Une absence qui s’explique par trois facteurs : un manque d’organisation et une incapacité à se coordonner, rendus d’autant plus aigus par la division de la Palestine en deux zones ; le manque d’alternatives réelles dans le discours ; et surtout le refus de participer à une élection inscrite dans les termes d’un accord décrié. Ainsi, le principal groupe d’opposition, le Hamas, et les deux partis de la gauche palestinienne, le Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP) et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), avaient interdit à leurs militants de se présenter et n’ont pas hésité à faire respecter cet ordre par la coercition, sans aller toutefois jusqu’à prôner le boycott.

L’apparent foisonnement partisan (25 partis ou coalitions enregistrés) ne doit pas dissimuler l’inexistence de véritables structures d’opposition représentatives. Il n’existe en fait qu’un seul vrai parti d’opposition, le Parti du Peuple Palestinien (ex-parti communiste), qui n’a remporté aucun siège. De même qu’il n’existe pas de véritables structures partisanes si l’on considère le fait que 507 candidats sur 672 étaient des indépendants, lesquels représentent finalement 17 des 88 élus.

Enfin, les leaders emblématiques ne sont pas parvenus à constituer des listes nationales derrière leur nom, alors que le seul groupe sociologique suffisamment fort et organisé pour constituer une véritable opposition politique (les islamo-nationalistes du Hamas) s’est finalement privé, de son fait et du fait de l’Autorité palestinienne, de la capacité d’influencer la définition du leadership par la voie de la représentation.

Le manque de perspectives démocratiques issu de la première élection libre palestinienne n’est donc pas simplement imputable au pouvoir. Le comportement général de ceux qui auraient pu constituer une opposition et les contraintes imposées par les accords d’Oslo n’ont pas permis de fonder un groupe concurrent à celui qui dispose actuellement des ressources de l’Autorité palestinienne et qui était alors laissé libre d’imposer sa définition des frontières du leadership.