intérieurs vieux

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L’ancien hospice, paraît-il, est moribond, des établissements spécialisés le remplacent, qui prétendent donner une forme d’autonomie, à ceux qu’on n’appelle plus désormais « pensionnaires » mais « résidents ».

On donne ici un entretien avec l’une des participantes à un atelier d’écriture et un extrait du journal interne. Où l’on voit une personne âgée qui, à force de se plier à l’ordre de l’institution, ne montre qu’une chose : ça ne va pas. Ailleurs, des maisons de retraite invitent leurs résidents à emménager avec leurs meubles, comme pour leur demander de rester les mêmes avant et après leur entrée. Mais cela ne peut aller sans que passent mille devenirs autre : c’est l’organisation de l’espace et du temps qui n’est jamais tout à fait adéquate, c’est l’expérience de la maladie et de la mort qui ressurgit. Mille petits décalages entre ce que le vieux a déjà cessé d’être en entrant et ce que l’institution aurait voulu qu’il soit.

Saint-Priest. Banlieue de Lyon. Madame Cluzeau est l’une des résidentes d’un « établissement » qui ne dit pas son nom : Les Alizés n’est ni une maison de retraite, ni un hospice, ni une clinique. C’est un établissement privé, membre de la Fédération nationale accueil et confort pour personnes âgées. Les résidents ont 85 ans en moyenne, et seuls trois d’entre eux ont moins de 80 ans. Avec 17 % d’hommes parmi les personnes âgées et 5 hommes dans une équipe de 35 salariés, Les Alizés sont comme une chambre d’écho tardif des valeurs machistes où la rareté perpétue la valeur du masculin. La directrice dit son plaisir particulier d’accueillir les trop rares messieurs qui se présentent.

Madame Cluzeau a 70 ans. Nettement plus jeune que la moyenne, elle réunit pourtant les deux conditions qui font la norme : elle est une femme et elle est handicapée, donc dépendante. Je la rencontre avec Valérie Figuet, l’attachée de direction des Alizées chargée de l’animation et à ce titre, rédactrice en chef d’un petit journal interne, Au gré des Alizés [voir extrait ci-dessous], écrit par quelques membres du personnel, parfois à partir des témoignages ou des récits des vieux. Je lui demande d’expliquer sa participation au journal.

Madame Cluzeau : C’est difficile à expliquer.

— Qu’est-ce qui est difficile à expliquer ?

Mme C. : — C’est très difficile ...

[Elle pleure]

Mme C : — ... parce que quand on a eu tout ... et puis qu’on se retrouve comme ça ...

[Elle désigne le fauteuil roulant]

Valérie : — Allez Madame Cluzeau.

Mme C : — C’est dur Valérie.

Valérie : — Mais je sais que c’est dur. Je le sais Madame Cluzeau.

[Un temps]

— Mais le journal ça rend les choses plutôt moins dures non ?

Mme C : — Oui bien sûr mais enfin, ça demande pas mal de la lucidité qu’on a presque plus.

Valérie : — Oh ! N’exagérez pas quand même Madame Cluzeau ! Vous, pour écrire, votre handicap, c’est plutôt votre main.

Mme C : — Oui.

[Pleurs]

Valérie : — Allez Madame Cluzeau.

Mme C : — C’est dur. C’est dur Valérie.

— C’est dur de ... ?

Mme C : — De parler oui.

— De parler de ça ?

Mme C : — Oui.

[Un temps]

— Est-ce que vous aviez dans le passé l’habitude d’écrire ?

Mme C : — Pas beaucoup. Je n’ai jamais beaucoup écrit. Jamais, jamais, jamais.

— Dans votre métier vous n’en aviez pas besoin ?

Mme C : — Non pas du tout. Je travaillais dans un self à la mairie. Alors je n’avais pas besoin d’écrire.

— Et quand Nathalie vous a réuni et que vous avez essayé de rédiger cette page [voir extrait ci-dessous] c’était donc quelque chose de très nouveau ?

Mme C : — Ecoutez, nous, quand il faut parler, qu’on nous pose des questions, tout est difficile à expliquer. Parce que c’est pas tous les jours qu’on se met en répétition. Le matin on se lève, on déjeune, après on vient, on descend, on regarde un peu la télé, on déjeune, on remonte, on entend les uns et les autres, mais sorti de là, il n’y a rien d’autre qui se ...

[Un temps]

— Passe ?

Mme C : — Non. Sauf bien sûr quand ils nous emmènent promener, tout ça. Ça fait des souvenirs. Qui nous restent.

— Et la participation au journall vous en êtes contente ?

Mme C : — Bien sûr. On est toujours content de ce que l’on fait.

— C’est une activité parmi d’autres ?

Mme C : — Voila.

[Un temps]

Mme C : — J’essaye toujours de participer à tout ce qu’on me demande de faire ...

[Pleurs]

Valérie : — Et puis vous aimez bien, Madame Cluzeau, participer ? Hein ?

Mme C : — J’aime bien.

— C’est important ?

Mme C : — Oui, bien sûr. Ça nous empêche de tomber directement dans le vide.

[ Pleurs]

Valérie : — Ça empêche une solitude ... Qu’est-ce que ça vous apporte ?

Mme C : — C’est-à-dire que ça apporte qu’on voit qu’on s’occupe de nous. Là vraiment on s’occupe bien de nous dans cette maison. ( ... ) Tout est nouveau pour nous quand on arrive dans un endroit comme ça.

— Qu’est-ce qui vous a conduit dans un endroit comme ça ?

Mme C : — Parce que mes enfants ne voulaient plus s’occuper de moi. Avant, j’étais toute seule et j’avais une infirmière qui venait le matin et le soir. Et j’avais deux aides ménagères bien sûr, et ma belle-fille qui m’aidait entre temps. Et puis après mon fils a décidé que c’était trop lourd. Et moi je pouvais pas supporter d’être de nuit toute seule. Alors j’ai dit à mon fils : « Je me cherche une maison de retraite. » Il ne voulait pas, mais depuis qu’on m’a...

[ Pleurs]

Mme C : — ... je ne le vois plus.

[Un temps]

Mme C : — J’en ai qu’un qui vient me voir c’est tout. Mon fils aîné. Lui, en principe, il vient deux ou trois fois par an. Il était là la semaine dernière.

[Un temps]

Mme C : — Plus jeune, j’avais toujours dit que je n’y irais pas. Mais vous savez, c’est un grand besoin quand on vient. Ça devient indispensable. On peut plus se lever. Moi je suis paralysée d’une main et d’une jambe, je ne peux pas me lever toute seule, je ne peux pas aller aux toilettes toute seule ni rien. Alors que là, on est contente d’avoir quelqu’un à côté de soi qui s’occupe de nous. (...).

[Madame Cluzeau en vient à évoquer les voyages. Avec les simples sorties, ils sont la matière favorite des récits du journal]

Mme C : — Avant, j’ai jamais voulu. Et maintenant j’aimerais. Parfois on me le reproche. Parce qu’on me dit : « Avant quand on voulait vous faire sortir vous ne vouliez pas ; puis maintenant, vous voudriez sortir alors que vous ne pouvez pas marcher. » Eh oui. C’est comme ça.

[Rires]

Mme C : — C’est vrai qu’on a un personnel jeune autour de nous. Et c’est bon.

— Vous n’aimeriez pas avoir un personnel plus âgé ?

Mme C : — Non, parce que je ne sais pas s’ils arriveraient à nous comprendre tellement.

[Pleurs]

— Comprendre quoi ?

Mme C : — Mais tout. Comprendre qu’on est vieux, et puis que par moment on a la tête qui débloque un peu. Ils sont toujours là pour nous remonter le moral et... qu’est-ce que je pourrais dire d’autre. Je ne sais pas bien.
Comment s’expliquer ? C’est difficile vous savez.

[Un temps]

Mme C : — Ce que je veux, c’est remarcher. Alors ça, c’est pas facile. Et rien ne s’y prête pour que je remarche. Parce que je n’ai pas assez de force sans doute. Je ne sais pas si j’y arriverais un jour. Je le voudrais pourtant.

[Pleurs]

— Vous ne pouvez plus marcher depuis combien de temps ?

Mme C : — Un an passé du mois d’avril.

— Et c’est ça qui vous a conduite aux Alizés ?

Mme C : — Ah oui. Parce qu’autrement si j’avais pas eu cette paralysie je crois pas que je serais rentrée. Non.

Valérie : — Non, vous n’aviez pas de raison de rentrer.

Mme C : — J’étais une petite reine chez moi.

—  Qu’est-ce que vous voulez dire ?

Mme C : — J’étais une petite reine. J’avais un appartement, mais enfin un appartement très coquet, où j’avais tout qui souriait autour de moi. J’avais mon fils, le plus jeune, qui ne me parle plus, il venait tous les samedis et les dimanches déjeuner avec moi. Ma petite-fille aussi.

[Un temps]

Mme C : — Et vous savez quelquefois je peux pas. C’est plus fort que moi je dis : « Mais comment je vais faire ? Comment je vais faire ? » Quelquefois j’ai envie de me relever et de partir. Et je dis : si je tombe après, que je me fais mal ?

Valérie : — Ça sera encore pire.

Mme C : — Ça sera pour le restant de mes jours.

Valérie : — Ça sera encore pire. .

Mme C : — C’est pour ça. J’ai vraiment peur.

— Vous pensez remarcher un jour ?

Mme C : — Que je remarcherai un jour ?

— Oui.

Mme C : — J’ai un peu d’espoir.

Valérie : — Vous marchez un petit peu avec le kiné.

Mme C : — Oui. Avec le kiné, ou même avec une canne quelquefois. Par moment j’ai envie de partir avec une canne mais ... je suis peut-être pas assez forte encore.


Extrait de Au gré des Alizés, automne 1996, n° 85, p. 10

AU GAREIZIN

Chaque été nous avons le privilège de pouvoir bénéficier du parc de notre siège sociaL à francheville. Nous vous proposons de découvrir une de ces sorties ...

Mardi 23 juillet. embarqués dans le minibus avec le sentiment de partir en vacances, nous nous mettons en route pour pique-niquer au GAREIZIN. C’est à Francheville le Haut.

Le Gareizin est constitué d’une très belle maison bourgeoise et d’un parc immense. Une partie de ces bâtiments a été restaurée afin d’accueillir les établissements de l’association (au nombre de 9).

Cet endroit verdoyant et calme nous séduit immédiatement.
Le potager est plein de tomates, de poireaux, de haricots, le jardin fleuri de dalhias et de glaïeuls. Le parc dans lequel nous nous trouvons est immense et arboré.

Nous allons déjeuner sous une tonnelle qui nous abrite fort heureusement du soleil.

Pierre, responsable d’entretien, nous sert un délicieux vin de pêche pétillant. Bon appétit, tout le monde !

Ah ! Nous avons bien mangé, La pastèque nous a bien rafraîchis !
Prenons le café à présent !

Tiens, dit Madame CLUZEAU, là-bas au tond du parc, j’aperçois de grands marronniers, si nous nous promenions tout le long ! Dommage qu’il n’y ait pas de rampes, j’aurais pu faire quelques pas. Malgré cela, nous avons fait un bon tour ; nous avons probité du grand air de la campagne et sommes rentrés heureux aux « ALIZES »

« Nous dormirons bien ce soir ! »

Mme Cluzeau, MD., M R., MD., Mme C., M M résidents. Nathalie accueil.