bâtiment D5

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Maïre Tuahiva a attendu pendant deux ans. Elle passa avec succès l’interrogatoire de la police lorsqu’elle fut convoquée au commissariat de son quartier mais pendant les huit premiers mois, le permis ne lui fut accordé qu’à titre temporaire : il s’agissait d’une mise à l’épreuve.

Maintenant, elle dispose d’un permis de visite définitif à la Maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. C’est la « première visiteuse de prison transsexuelle en Europe », dit Camille avec fierté en nous la présentant. Ce permis facilite les contacts avec les détenues transsexuelles : il ouvre l’accès au parloir des avocats et autorise le dépôt d’argent au greffier, ce qui évite de recourir à des mandats coûteux. Avec les transsexuelles détenues à la Maison d’arrêt de Fresnes, Maïre doit se contenter d’échanger des courriers. La demande d’un droit de visite n’a pas encore abouti.

Ce n’est sans doute pas un hasard si Fleury est la première prison à s’ouvrir au PASTT. Il y a trois ans, les abus sexuels que certains gardiens faisaient subir aux détenues transsexuelles, brutalement dénoncés dans la presse, avaient fait scandale. Mais l’ouverture de la prison à la question de la transsexualité ne recouvre qu’une partie de la réponse apportée par l’administration à ce sordide fait divers carcéral. Bien sûr, il y a de quoi se réjouir lorsqu’on apprend que le PASTT est venu former les membres du personnel pénitentiaire sur le transsexualisme à l’invitation de l’administration de la Maison d’Arrêt de Fleury-Mérogis. Il faut cependant considérer une autre conséquence de ce fait divers ; du côté des détenus, le souci de ne pas provoquer de nouveaux incidents s’est traduit en pratique par une mise à l’écart systématique des personnes transsexuelles : placées en cellules individuelles, intégrées au bâtiment D5 réservé aux criminels et aux détenus considérés les plus dangereux — le bâtiment D5, dit d’« isolement » est aussi le seul que l’on ne visite pas —, les transsexuelles sont également interdites de promenade avec les autres détenus ; elles n’ont pas non plus le droit de participer aux ateliers de travail et, pour pouvoir se rendre à la bibliothèque, elles doivent au préalable en faire la demande écrite au directeur de la prison.

Cette mise à l’écart n’est pas sans conséquence sur les conditions réelles de vie des détenues transsexuelles : interdites de travail et donc de rémunération, elles ne disposent d’aucun revenu sinon celui versé par le PASTT (200F par mois sachant qu’un paquet de cigarettes coûte 30F et une semaine de télévision, 65F), leurs promenades ont lieu dans des cours grillagées et constituent le seul moment où elles peuvent se parler puisqu’elles ne sont pas autorisées à partager la même cellule. L’incarcération signifie aussi l’interruption de la prise d’hormones, puisqu’un suivi médical antérieur est la condition de la délivrance d’hormones par le médecin de la prison sur avis d’un psychiatre.

Le soutien psychologique se double donc d’un nécessaire soutien financier. Outre les discussions au parloir, Maïre s’occupe de leur apporter des vêtements pour qu’elles puissent aller devant le juge dans une tenue différente de celle qu’elles portaient lorsque la police les a embarquées sur leur lieu de travail. Elle leur dépose de l’argent et tente de faire passer une pince à épiler par l’intermédiaire de la Croix-Rouge. Elle aide enfin les détenues dans leurs démarches administratives et organise leur prise en charge à la sortie de prison.

Cela fait un an que Maïre Tuahina est visiteuse à Fleury-Mérogis. Certains gardiens continuent de l’appeler « Monsieur ».

Le PASTT revendique un droit d’accès à la bibliothèque, une prise en charge de l’hormonothérapie, le droit de participer aux formations, ateliers et autres tâches réservées aux autres prisonniers des cellules partagées et des lieux à ciel ouvert.

En Italie, le Movimento Italiano Transessuali mène lui aussi une action spécifique sur les prisons. Un travail international s’ébauche avec un projet européen qui intégrerait les associations ILGA au Portugal et Medicos del Mundo en Espagne. Ce projet a reçu le soutien de la communauté européenne.