Vacarme 11 / processus

Dilemme

par

Actes Sud a publié l’an passé un roman qui avait fait grand bruit à Taiwan au début des années 1970, Processus familial de Wang Wen-Xing. Chronique d’une relation père-fils qui atteint littéralement un point de non-retour (le père quitte la maison et disparaît), le livre est magnifiquement écrit, même en traduction française, grâce aux ambivalences de son mode de narration, oscillant entre le point de vue du personnage principal et l’apparente objectivité d’un récit classique. Après Processus familial, Wang Wen-Xing, de son propre aveu, a « mis 23 ans à achever un second roman », très long, en deux volumes : The man backing out to the sea, qui vient d’être réédité à Taiwan. Il a aussi écrit une pièce en un acte (M & W) et de nombreux essais (certains sont réunis dans un recueil, Books and films). Il enseigne la littérature anglaise au département de littératures étrangères de l’Université de Taipei.

Il a répondu, à distance, à nos questions.

Quand j’ai terminé Processus familial, je ne m’attendais pas du tout à ce que ce roman provoque une telle tempête à Taiwan. Les motivations des critiques qui ont si violemment attaqué le livre à l’époque restent un mystère pour moi encore aujourd’hui. Dans mon souvenir, les gens de droite dénoncèrent le livre comme étant “moralement ambigu” et les gauchistes se consacrèrent à mes techniques d’écriture trop occidentales. La plupart en plus étaient des collègues ou des amis qui écrivaient alors du mal de moi sous pseudonyme ! L’ambiguïté du roman repose sur le fait que le narrateur omniscient est en fait aussi le personnage principal, comme le suggère un unique chapitre écrit à la première personne. Je pense qu’il s’agit d’un processus intéressant quand le lecteur découvre que Fan Yeh, le personnage, et le narrateur du livre sont une seule personne. Le livre est en partie autobiographique, lié à mon expérience personnelle, disons, pour 30 % de ce qu’il raconte. Le reste est pure imagination.

La littérature contemporaine à Taiwan souffre de ce que le public a toujours tendance à donner une importance démesurée aux jours glorieux de la culture chinoise ancienne, même si, et c’est le plus regrettable, peu en ont une réelle connaissance à cause de la difficulté qu’il y a aujourd’hui à lire la langue chinoise classique. Je pense que moi-même suis particulièrement influencé par l’esthétique des poèmes classiques. Mais la littérature chinoise ancienne ne me semble pas briller par ses récits de fiction. Dans ce domaine, on ne peut rien faire d’autre que lire les auteurs occidentaux, et c’est ce que font les écrivains chinois depuis le “Mouvement du 4 mai”. J’ai moi-même été fortement influencé par Hemingway, Maupassant et les romanciers russes du dix-neuvième siècle. J’ai lu Maupassant très jeune, mais à l’université, c’est plutôt Dostoïevski et Hemingway qui sont devenus mes modèles. Je pense qu’une solution heureuse est de combiner ces influences et des matériaux plus spécifiquement chinois. C’est ce qu’est parvenue à faire la fiction japonaise contemporaine qui joue sur le mélange de techniques occidentales et d’expériences très locales, et c’est la voie que devraient suivre les romanciers chinois. Lu Xun et Lao She n’ont pas fait autre chose.

Mais il faut bien dire que les auteurs contemporains à Taiwan comme en Chine continentale n’ont pas la tâche facile et sont même confrontés à ce dilemme sans précédent : utiliser des formes de la littérature chinoise classique, mais c’est sans doute peine perdue à cause du changement linguistique entre le chinois classique et la langue actuelle ; utiliser des formes littéraires occidentales, qui ne sont que très partiellement transposables en chinois, une fois de plus à cause de différences de langage. Mais les grands auteurs de l’avenir seront ceux qui résoudront d’une manière ou d’une autre ces deux problèmes.