avant-propos

droits d’auteur

C’est une actualité déjà ancienne qui nous a poussés à nous intéresser à la question des droits d’auteurs : la bataille des pétitions sur le prêt payant en bibliothèque, le projet Tasca de taxation des disques durs, l’af-faire Napster, les brèches ouvertes par les linuxiens, hacktivistes et autres adeptes du copyleft... À vrai dire, la question n’en était à nos yeux pas vraiment une : le droit d’auteur, c’était entendu, jouait contre nous, contre notre désir d’accès aux œuvres, d’échange, de coopération productive.

Vite dit. Le droit d’auteur est né, il y a un peu plus de deux siècles, de la fronde d’écrivains spoliés par leurs éditeurs et qui entendaient tirer revenu de leur production - la revendication devrait ne pas nous être étrangère. Mais à l’autre bout de l’histoire, un dispositif qui ne profite qu’aux plus fortunés d’entre les auteurs, et aussi - on le verra - aux éditeurs.

Deux domaines apparemment séparés sont étroitement imbriqués dans le dispositif « droits d’auteurs » : le droit patrimonial (manger) et le droit moral (engendrer). Il s’agit donc d’une part de défendre le gagne-pain des auteurs, de l’autre de protéger leur œuvre des utilisations non conformes. L’ennemi avoué : le copyright qui, non seulement ne nourrit pas mieux son homme que le droit d’auteur, mais permet la cession de l’inaliénable droit moral. La possibilité de vivre, même mal, de ses œuvres est donc directement subordonnée à l’idée qu’elles appartiennent à leur auteur, dont elles seraient une sorte d’appendice naturel, le prolongement d’une intention.

C’est là que les problèmes surgissent. Du côté de l’œuvre, d’abord. Des contentieux montrent les difficultés du droit à appréhender un champ - la production dite artistique - qui opère des mutations trop brusques pour ne pas échapper à la conception juridique de l’œuvre. S’il est dans la nature même du droit de ne jamais être tout à fait adéquat à son objet, celui de l’auteur accuse manifestement le coup de l’idéologie qui présida à sa constitution.

Du côté des auteurs, ensuite, c’est à dire des conditions même de la production. Si nous ne savons que faire de l’Auteur, nous nous intéressons aux droits : ceux qui permettent de vivre, d’inventer, de produire. Comment vivent les auteurs au delà de l’ascétisme folklorique dont on les a longtemps affublés ? que peut le dispositif de collecte et de redistribution de droits rares et conditionnels pour - et ce n’est qu’un exemple - les vingt pour cent d’allocataires du RMI qui ont choisi « artiste » pour raison sociale ? Les auteurs sans statut, donc sans revenus, sont légion et la protection d’un « statut de l’auteur » au nom de l’irréductible création artistique, se révèle non seulement inadéquate à la réalité des pratiques sociales mais un frein à leur rétribution.

Du côté de la réception, enfin. Le public (si l’on peut donner ce nom à une sorte de forme collective de la réception) est le parent pauvre du droit d’auteur. Les scrupules, la paresse ou la mauvaise foi d’un héritier, dépositaire naturel du droit d’une œuvre peut suffire à en entraver la publication, l’exposition ou la diffusion. Et l’hystérie de contrôle dont s’accompagne, de la part des tenants du droit d’auteur, la massification de moyens toujours plus accessibles de production et de diffusion des œuvres peut faire ricaner, elle n’en mobilise pas moins d’inquiétantes sommes d’énergie.

Beaucoup d’auteurs sans moyens, de récepteurs frustrés, d’intermédiaires assis sur des principes plutôt lucratifs, c’est le tableau sommaire qu’a brossé l’idéologie du droit d’auteur et son énorme machine... qu’on ne pourra recolorier que par des pratiques - copyleft, pillage, luttes pour le revenu et mille autres - qui s’inventent au fur et à mesure dans les petits mais tellement plus réels, laboratoires du travail vivant.