Vacarme 15 / chroniques

les lucanes / et si attendre

par

Encore cette procession d’insectes portant chacun une lanterne éteinte et butant sur le même mur. L’un après l’autre... l’ombre se dénature. Leur nom m’échappe. L’abdomen plat et cuirassé s’enfle en ombres chinoises pour former les segments mous d’une chenille, des soies s’y dressent. Puis viennent des pulsations, de loin. Et si attendre éveillait d’autres organes. Des alvéoles s’obstruent, un papier s’y froisse qu’un vide n’en finit pas d’aspirer. Les tuyaux par où il passe sont trop étroits. Était-il écrit ? Six pattes par corps. Toujours en mouvement. L’autre jour, sur un parking, un promeneur remplissait méthodiquement le pot d’échappement d’une voiture de feuilles mortes. Elles jonchaient le sol. Il prenait son temps, les rentrant une à une dans le cylindre. Entièrement absorbé. Quand il s’est relevé j’ai vu qu’il mesurait au moins un mètre quatre-vingt dix et qu’il n’en pouvait plus. Ce n’était peut-être pas une blague. Plus loin, près d’un banc, une statue attendait sans vêtement. Il arrive que le sommeil arrive. Des canards laissent l’angle ouvert de leur sillage sur l’eau. Il arrive qu’un éveil avant l’éveil - les yeux ouverts dans une clisse d’organsin filé - aperçoive la lumière qui filtre à peine. C’est difficile de se mouvoir, la gangue est étroite. Le regard rebrousse. Impossible de savoir s’il s’agit d’une image. Le vrai du faux tremble. Ou bien c’est au moment de s’endormir que quelque chose trébuche, la peau tirée comme une bâche, par les pieds, vers une cave où on ne veut pas descendre, une bouche obscure. La chute d’une procession sans encoche pour les mains. Certains insectes creusent des trous. D’autres font des tas. Ceux qui se déplacent en processions - tête-dos/tête-dos - conservent la même cadence. Garder l’inspir. Ne rien interrompre. Dessiner un fredonnement muet. Ou bien est-ce d’une séparation qu’il s’agit ? Collecter les pauses, les soupirs soutenus par ces petits segments noirs en mouvement. Les insectes ont été absorbés par le mur. Point d’orgue. J’attends. Une lueur, faible, le rend translucide comme un papier huilé. Leurs lanternes se sont-elles rallumées de l’autre côté ? Leur nom me revient... ce sont des lucanes. Et si attendre déroulait les trajets sans fin d’une physique qui n’a plus corps. Et qu’on ranime, et qu’on ranime.