Vacarme 11 / arsenal

« Ça valait le coup d’en dire quelque chose » entretien avec Patrick Mony (Gisti)

Patrick Mony participe au groupe « protection sociale » du Groupe d’information et de soutien aux immigrés (GISTI) . Depuis 20 ans, il balise méthodiquement un champ que personne ne croyait pouvoir exploiter : le recours au droit international contre les textes et les pratiques français en matière de droit des étrangers. Travail de fourmi qui finit par porter ses fruits en 1991, quand pour la première fois la Cour de Cassation annule une décision française en vertu d’une convention internationale, et lui donne raison. L’Europe est en marche, et l’ensemble du mouvement associatif commence seulement à réaliser l’importance du chemin accompli. Parcours du combattant.

Comment a commencé le travail du groupe « protection sociale » au GISTI ?

Il y avait plusieurs personnes au GISTI, travailleurs sociaux ou travaillant dans le social, qui étaient préoccupées par la remise en cause du droit à la protection sociale pour les étrangers : c’était leur quotidien ; ils se sont dit : c’est ce qu’on vit, il faut vraiment qu’on fasse un texte, une brochure qui rappelle quelles sont les lois, quels sont les droits, quelles sont les dispositions spécifiques à la protection sociale des étrangers. Dès la rédaction de cette première brochure, on s’est rendu compte que c’était extrêmement difficile d’obtenir des informations précises : il y avait des textes législatifs, et des circulaires, internes aux organismes auxquelles il était très compliqué d’avoir accès. C’était beaucoup plus difficile à faire qu’on ne le pensait, mais on s’apercevait souvent que ces textes étaient différents des pratiques constatées au quotidien. Après cette première brochure dans les années 80, on a rédigé un guide de la protection sociale des étrangers, et on a démarré les stages de formation du GISTI pour les travailleurs sociaux. C’est comme ça qu’on a découvert les pratiques qui avaient cours, et que les lois qu’on avait rappelées dans cette brochure n’étaient pas respectées. Tout cela aidait des travailleurs sociaux à faire du contentieux sur les droits des étrangers, - ce qui n’était pas une pratique habituelle à l’époque, alors que je pense qu’il y en a beaucoup qui le font maintenant. À l’époque, la pratique habituelle des employés des services sociaux ayant affaire aux étrangers était de régler les problèmes à l’amiable et de ne pas chercher plus loin. Quand un organisme de sécurité sociale affirmait : « c’est ça, la loi », l’attitude générale était de dire : bon, c’est ça, la loi, on prend note, et on essaie de chercher des solutions.

A ce moment-là, j’ai fait une rencontre qui m’a beaucoup marqué avec un militant de la CGT qui suivait les problèmes des étrangers liés à la protection sociale : c’était un acharné de la procédure, notamment de tout ce qui concernait le respect des conventions de l’OIT et du droit européen. C’est lui qui est à l’origine de l’arrêt Pina qui a reconnu le droit à l’égalité pour les prestations familiales pour les familles des ressortissants communautaires. ça lui a coûté neuf ans de procédure. Il passait son temps à faire des courriers, des recours, soit au niveau européen, soit au niveau de l’OIT. J’ai beaucoup discuté avec lui, et son problème, c’est qu’il ne trouvait pas de relais. Dans les organisations syndicales, dans ce domaine, il s’agissait beaucoup d’initiatives personnelles, très vite, je me suis aperçu que ses collègues n’étaient pas au courant de ses activités. D’ailleurs ils ont été contents à la CGT de le voir partir à la retraite : il était considéré comme un emmerdeur. Il m’a beaucoup appris, en particulier sur la nécessité de remettre en vigueur, de faire lire les conventions internationales. C’est lui qui m’a montré que dans les conventions de l’OIT auxquelles je ne connaissais rien du tout auparavant, il y avait le principe d’égalité de traitement avec les nationaux et que la France était tenue par ces engagements, par ces conventions qu’elle avait ratifiées. Personne n’en avait jamais parlé auparavant, personne n’y avait pensé dans le mouvement associatif. C’est lui encore qui m’a parlé des accords de 1976 avec les pays du Maghreb. À l’époque, le GISTI pensait, et cela a même été écrit dans Plein Droit, qu’on ne pouvait pas utiliser ces textes parce qu’il n’y avait jamais eu de décrets d’application.
Mais on était trois ou quatre à croire le contraire, et on a décidé d’intégrer aux stages de formation du GISTI cette dimension des accords internationaux.

Le recours au droit international n’était pas utilisé auparavant par le GISTI dans d’autres domaines que la protection sociale ?

On le faisait peu. On l’avait fait un peu avec la Convention européenne des Droits de l’Homme, mais on n’avait pratiquement pas travaillé sur les accords internationaux, très peu sur les accords bilatéraux. Aujourd’hui, on est encore loin de ce qu’il faudrait faire.

Vers 1984-85, je travaillais beaucoup à la Commission Immigrés de la CFDT et la CFDT m’a proposé d’être administrateur à la CPAM de Paris (c’était juste au moment de la départementalisation) et de participer à la commission de recours amiable. J’ai accepté puisque c’était l’occasion d’entrer dans ces organismes, de voir comment ça se passait. Au départ, je n’y connaissais rien du tout. J’ai passé des années à la commission de recours amiable et j’ai essayé de comprendre la protection sociale, comment cela fonctionnait. C’était une expérience très intéressante qui m’a permis de travailler sur les problèmes de la protection sociale, comme l’accès à l’assurance maladie, en particulier pour les étrangers.

Depuis les années 80, comme on avait fait la brochure et les deux guides, le GISTI a été constamment sollicité sur les problèmes de protection sociale des étrangers, et moi, j’étais devenu plutôt compétent sur les problèmes de l’assurance-maladie. On a très vite pensé qu’il y avait des possibilités de recours en se fondant sur le droit international. Et puis, grande première, en 1991, la Cour de Cassation a reconnu, à propos du Fond national de solidarité, que l’accord CEE-Algérie était applicable : elle a cassé une décision du de refus du Fond de Solidarité en application de cet accord (arrêt Mazari du 7 mai 1991).

Les accords CEE-Algérie prônaient l’égalité de traitement en matière de sécurité sociale. En 91, on a fait une brochure pour commenter cette décision qui concernait les Algériens, mais pas seulement. On a rappelé qu’il existait des dispositions similaires dans les accords avec les autres pays du Maghreb, dans la convention de Lomé, de l’OIT, et les autres conventions internationales, et que donc, ça ne concernait pas seulement les Algériens.

Sur la protection sociale, il y avait peu de recours, et donc peu de jurisprudence. Personne n’y croyait beaucoup, l’arrêt de la Cour de Cassation a étonné tout le monde. Moi, j’étais content parce que je le disais depuis longtemps. Avec l’OIT, c’est pareil, il a fallu se battre ; maintenant on commence à avoir quelques décisions, mais qui ne vont pas très loin. Quand on est allés voir à l’OIT s’il y avait de la jurisprudence et comment interpréter les principes d’égalité de traitement, le responsable des problèmes de sécurité sociale nous a dit qu’il n’y avait pas de jurisprudence dans aucun pays à partir de la convention 118 de l’OIT. On s’est dit qu’on allait essayer quand même, qu’on verrait bien. On a obtenu quelques décisions positives.

Quand avez-vous vraiment perçu que le droit européen pourrait primer sur les droits nationaux ?

Quand j’ai participé aux discussions au Plan en préparation du rapport Hessel, on a eu le premier projet, l’avant-projet des accords de Schengen... J’ai montré ça au GISTI et à l’époque, on ne m’avait pas tellement écouté. Mais on s’est dit que ca valait le coup, quand même d’en dire quelque chose. Dans une brochure, à l’occasion d’autre chose, on a publié les accords de Schengen en disant : « c’est probablement dans ce sens-là qu’on s’oriente ». Je me rappelle une intervention que j’avais faite où on m’avait demandé de faire une présentation du droit des étrangers ; j’ai commencé mon intervention en disant : « Maintenant, le cadre, c’est l’Europe, c’est Schengen ». Et il y a eu des réactions très étonnées. Même quand j’ai commencé à dire au GISTI, que ce qui était en train de se passer avec les étrangers, cela me semblait tout à fait dans la ligne de Schengen, ils n’y croyaient pas trop - on n’avait pas du tout intégré l’Europe. Dans les guides du GISTI, il n’y a quasiment rien sur les conventions internationales jusqu’en 1990. Quand le GISTI et l’équipe de permanents se sont étoffés avec l’arrivée de jeunes juristes, la réflexion là-dessus est devenue plus structurée.
Mais la question s’est aussi imposée avec les lois Pasqua. Avec Pasqua, les conventions internationales, pas seulement sur la protection sociale, mais aussi sur les autres droits des étrangers, sont devenues le seul rempart contre une remise en question aussi violente des droits des étrangers, et des droits sociaux des sans-papiers en particulier. Mais il n’y a pas beaucoup de travailleurs sociaux qui aient relayé ce que nous disions, en faisant des recours. Sur ce plan, le GISTI n’a pas fait école.

Pourtant, on se rend compte que par le biais de la protection sociale, on arrive a remettre en cause dans certains cas le droit au séjour, ce sont deux choses très imbriquées.

Il vous est arrivé de travailler avec d’autres associations ou organisations, notamment a l’occasion de la loi instaurant le RMI en 1988...

On a lu le projet RMI et on a énoncé nos revendications, qui n’ont pas vraiment été diffusées. On avait demandé notamment l’accès au RMI à égalité de traitement, en vertu de la convention de Genève, pour les demandeurs d’asile. Il n’y avait pas vraiment un collectif d’associations comme ça a pu être le cas récemment a l’occasion de l’instauration de la CMU. Parmi les gens mobilisés, il y avait pas mal de caritatifs assez peu revendicatifs, mais les associations de chômeurs n’existaient pas comme maintenant. Du coup, on était dans le rôle des empêcheurs de penser en rond. Certaines associations ont refusé de défendre ce principe d’égalité de traitement pour les demandeurs d’asile sous prétexte que le droit au RMI remettrait en cause le droit au travail. Résultat : on n’a plus le droit au travail, et il n’y a pas le RMI !

La circulaire d’application du RMI, qui a fixé la liste des titres de séjour permettant d’y avoir accès et qui a exclu les demandeurs d’asile n’a pas été attaquée, ni par nous, qui étions a l’époque très peu nombreux, ni par personne. Sur la CMU, on a mieux travaillé, et on voit beaucoup d’associations signataires d’un texte qui donne comme fondement à la protection sociale les conventions internationales. C’est la première fois que toute une partie du mouvement associatif a intégré les textes internationaux comme instrument de défense, permettant de produire de la jurisprudence, voire de modifier les textes législatifs en fonction de cette jurisprudence.

Ce qui est curieux, c’est que dans la jurisprudence en matière administrative concernant le droit au séjour, quand il y a de bonnes décisions du Conseil d’État, de la Cour de Cassation, cela amène le Ministère de l’Intérieur à produire des textes rectificatifs qui peuvent aboutir des modifications législatives... alors qu’en matière de protection sociale, la jurisprudence ne s’impose pas. Pour les prestations non contributives, par exemple, en ce qui concerne l’AAH (Allocation Adulte Handicapé), malgré deux arrêts de la CJCE, plusieurs milliers de recours et de nombreux arrêts de la Cour de cassassion la jurisprudence n’était pas appliquée.

Si les usagers veulent faire valoir leurs droits, il faut à chaque fois qu’ils refassent tout le parcours du combattant. On peut attribuer cel au fait que le contentieux social s’est terriblement dégradé, même s’il y a eu des avancées au niveau de l’intégration du droit international...

Le mouvement des sans-papiers en 96 a-t-il infléchi votre travail sur la protection sociale ?

Bizarrement, on a beaucoup entendu a ce moment-là un discours des associations qui consistait à dire qu’il n’y avait aucun droit à l’accès aux soins pour les sans-papiers, ce qui est totalement faux. Et ce discours porte énormément tort à l’ensemble des sans-papiers, puisque beaucoup n’allaient pas se faire soigner de peur d’être livrés à la police. Alors qu’à ma connaissance, il y a eu deux bavures dans des hopitaux, ce qui est trop, mais n’a rien de massif.

De même, certaines associations décourageaient les sans-papiers de faire valoir leurs droits y compris devant les tribunaux, alors qu’il y a une jurisprudence positive. À mon sens c’est peut-être au contraire la meilleure garantie puisque la décision d’arrêter des gens qui défendent leurs droits devant un tribunal où a la sécu peut être un bon moyen de défense.

Dans le même ordre d’idée, on a voulu dissuader des accidentés du travail et qui ont, pour le coup, de véritables droits, de les faire valoir. Même s’ils sont sans-papiers, même s’ils ne sont pas déclarés par leur employeur, ils peuvent avoir accès à une rente accident du travail et à l’ensemble de la protection sociale qui y est liée. De plus, une rente accident du travail supérieure à 20% rend inexpulsable. La défense des droits sociaux peut donc être un atout en ce qui concerne le droit au séjour.

De la part de ces associations, peut-être y avait-il l’idée que les droits sociaux relèvent du superflu et que l’essentiel reste le droit au séjour...

Peut-être, mais elles n’ont certainement pas réalisé l’angoisse de ces familles, des parents par rapport aux enfants ou simplement par rapport à eux-mêmes. Je me souviens avoir travaillé avec des comités de mauriciens liés à la CFDT, au moment où je faisais beaucoup d’information sur les droits des sans-papiers. La position, à la CFDT, c’était de dire : ce n’est pas sûr qu’avec la CFDT on puisse obtenir des papiers tout de suite, en revanche, c’est aux organisations syndicales de faire respecter les droits, et il faut se battre, s’organiser là-dessus. Ces Mauriciens avaient donc formé des comités, ils assuraient l’information dans la communauté mauricienne et ils allaient collectivement exiger que leurs droits soient ouverts a l’aide médicale, soutenus par la CFDT. Si on avait un peu plus bossé là-dessus, ç’aurait été intéressant. Tout ce qui améliore le quotidien des gens fait avancer les choses. Chaque fois que tu te bats pour la reconnaissance de tes droits, quelques droits que ce soit, de toutes façons, tu acquiers un titre à rester ici.

Dans les années 1980, les collectifs de sans-papiers avaient toutes ces revendications en matière de droits sociaux, et puis ca s’est perdu, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce que la loi Pasqua a à tel point mis en cause la protection sociale que beaucoup ont pensé qu’il n’y avait plus aucun droit. C’est passé dans la tête non seulement des intéressés, mais encore plus des gens qui étaient en contact avec eux. Une fois que ce travail de sape a été accompli, il a été encore plus difficile de remonter la pente. Pasqua disait que sa politique était une politique du signal. Je crois que sur ce point, il a très bien réussi. Il a réussi à instaurer un climat de peur tel qu’heureusement qu’il y a eu le mouvement des sans-papiers pour contrecarrer ça. On avait totalement intégré cette politique et le sursaut est venu du mouvement des sans-papiers

Avec les lois Pasqua puis Debré et Chevènement on a vu se multiplier les titres de séjour précaires, conditionnés a un statut : salarié, étudiant, profession artistique... qui n’avaient pas droit au RMI. Seule la carte d’un an avec la mention « Travailleur salarié » au bout de trois ans autorise à faire une demande de RMI. Mais le fait même de faire la demande et de l’obtenir remet en cause le renouvellement de la carte de séjour, ce qui explique que beaucoup étrangers ne font pas valoir ce droit...

Oui mais il arrive qu’au contraire, acquérir des droits sociaux soit un atout pour le droit au séjour. Beaucoup de sans-papiers n’osent pas se marier de peur d’être dénoncés, mais le mariage est un élément favorable pour l’obtention d’un titre de séjour.

Le rôle du syndicat, qui est un rôle réformiste - mais le syndicat est par essence réformiste - c’est de se battre pour que les droits existants soient reconnus. On voit des syndicats qui soutiennent la lutte des sans-papiers sur la revendication du séjour, qui apportent un soutien matériel ou militant, mais, à part un peu la CGT, aucun ne fait plus ce travail de défense des droits. Mais c’est aussi de notre faute : on a déserté le champ syndical, pour quantité de raisons, on s’est toujours situés de l’extérieur, en position critique par rapport aux syndicats, en disant : il faudrait qu’ils fassent ceci ou cela... Il aurait fallu qu’un certain nombre d’entre nous acceptent d’entrer dans les syndicats et de faire pression de l’intérieur... et puis de faire le boulot. Au contraire, le mouvement associatif dans sa globalité n’est pas syndiqué mais a passé son temps à gueuler sur les syndicats parce qu’ils ne faisaient pas le boulot.

Et puis il faut bien le dire, le mouvement syndical est malade.

Soyons clairs, je ne crois pas qu’il faille que les syndicats aient des « branches sans-papiers », je crois qu’il faut que les sans-papiers se syndiquent dans leur branche d’activité, que ce soit le bâtiment, la confection ou autre chose... Les problèmes, ils sont bien dans la boîte, et c’est là qu’il faut les résoudre.

Mais tous les sans-papiers ne sont pas dans l’emploi déclaré, beaucoup travaillent au noir, parfois dans l’entreprise familiale, ou dans la sous-traitance...

En Martinique, j’ai assisté à une manifestation des employées de maison immigrées qui luttaient pour que soit appliquée la convention collective. Et pourtant, elles n’étaient pas dans l’entreprise au sens strict du terme. En 1979 ou 80, les concierges et les employés de maison portugais s’étaient entendus entre eux et avaient imposé des tarifs ; les employeurs ne pouvaient pas aller en dessous. Les chinois qui travaillent dans la confection, même si c’est dans le cadre d’entreprises familiales, tu les fais adhérer au syndicat de la confection ; ça te permet d’appréhender la physionomie d’un secteur. Sans-papiers ou non, c’est beaucoup plus intéressant de s’adresser à des syndiqués par branche professionnelle. Si on ne le fait pas et qu’on laisse les sans-papiers à part, non seulement on crée une hiérarchie entre les travailleurs mais on ne bosse plus sur les conventions collectives, sur les conditions de travail... parce que les conditions de travail sont remises en cause entre autres par le marché parallèle de l’emploi. C’est évident dans le bâtiment par exemple : par la sous traitance, et par tous les moyens qu’ils utilisent pour remettre en cause tous les acquis qui ont été obtenus en matière de droit du travail. Que les sans-papiers se syndiquent dans leur domaine d’activité professionnelle, cela évite d’avoir comme jadis à la CFDT et aujourd’hui à la CGT des spécialistes de l’immigration, qui sont contestés à l’intérieur du syndicats parce qu’ils s’éloignent du travail syndical « classique », qu’ils sont focalisés sur les problèmes des étrangers.
Cela, on ne l’a pas réussi, mais aussi parce qu’il n’y avait pas de volonté politique des syndicats.

Dans les années 1980, les turcs qui travaillaient dans la confection, ont bousculé toutes les habitudes de travail dans ce secteur, par la façon dont ils ont mené leur combat. Ils ont remis en cause les cadences, ils ont remis en cause les maîtres d’œuvre ; et ils sont arrivés à faire cela parce qu’ils se sont syndiqués massivement à l’intérieur de la CFDT. Et ils ont contrôlé le syndicat. Ils travaillaient très bien avec les camarades français, et ils ont fait bouger l’ensemble du mouvement syndical. Cette expérience a fait date dans l’histoire du syndicalisme français, mais en même temps, elle n’a pas fait école.

Mais ça ne s’est pas toujours aussi bien passé : j’ai suivi les luttes qui se sont menées au nettoyage à la RATP, où il y a pas mal d’étrangers et de sans-papiers, c’est un secteur qui a beaucoup recours à la sous-traitance ; alors que c’étaient eux qui menaient le combat, le syndicat de la RATP a tout verrouillé, on ne leur a jamais permis de prendre vraiment pied dans le syndicat, si bien qu’ils sont restés toujours à la marge. Et maintenant, ils sont moins syndiqués dans ce secteur...
Ils se sont fait un peu trahir par les syndicats qui contrôlaient la lutte, et les revendications. Ils n’ont jamais voulu adopter une revendication de fond qu’avaient les immigrés, qui était leur intégration dans la RATP, ce qui supposait une remise en cause du statut de la RATP (il faut être français pour y être employé). Les syndicats ont toujours refusé.

Je reste persuadé qu’il y a là un véritable enjeu démocratique : il faut prendre pied dans le syndicat. Si les immigrés arrivent à prendre vraiment des responsabilités dans le syndicat, on est obligé d’intégrer des revendications qui tiennent compte des réalités des immigrés. Mais c’est une conquête difficile parce que des travailleurs étrangers présents massivement et décisionnels remettent en cause vraiment le fonctionnement même du syndicat, introduisent d’autres pratiques... Là encore tout est à inventer.

À consulter :

À paraître

  • Sans papiers mais pas sans droits, juin 2001