Vacarme 10 / processus

la fin de Babel

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Le doublage remonte au début du parlant — le muet était universel, le parlant ne l’est plus — quand il s’est agi, pour bénéficier d’une diffusion internationale, de remplacer le dialogue original d’un film par un dialogue dans une langue étrangère. Les solutions les plus variées fleurissent. Bénéficiant d’une situation hégémonique dès 1918, les États-Unis en profitent pour attirer à Hollywood le gotha du cinéma européen. Certains viendront séduits par des conditions de travail qu’ils croient idéales, d’autres suivront chassés par les fascismes, plus tard par la guerre. En attendant, l’Amérique en profite pour s’assurer sur son propre marché de la collaboration de grands cinéastes à frais moindres. Ce qui n’empêche pas les studios américains dès les débuts du parlant de s’essayer au doublage de leurs films pour conquérir le public étranger, tandis qu’au même moment l’Europe hésite entre plusieurs solutions. Émerge d’abord celle des versions multiples : Marius d’Alexander Korda en 1931, Le testament du docteur Mabuse de Fritz Lang en 1933, sont tournés simultanément en plusieurs langues — généralement français, anglais, allemand. Les mêmes plateaux, le même réalisateur, la même équipe technique, mais des comédiens originaires de pays différents se succèdent devant la caméra. L’affaire s’avère onéreuse. Les majors américaines en ont profité pour installer à Berlin, Rome et Paris les premiers studios de doublage entièrement voués à la cause hollywoodienne. Ce sont eux, devenus prestataires indépendants, qui continueront à fonctionner longtemps après la disparition des majors américaines.

En Europe, les solutions se diversifient finalement au cas par cas, en fonction des traditions et des marchés. Baignés par la post-synchronisation de leurs propres films depuis les débuts du parlant, les Italiens préfèrent le doublage. Pour les petits pays au marché national trop étroit prévaut le sous-titrage, le doublage étant rarement rentable. En Russie, ce ne sont pas simplement les contingences matérielles qui conduisent au choix d’une traduction « monovoix » enregistrée au-dessus des dialogues originaux. En France, le doublage prévaut pour la majeure partie des productions étrangères — il est sorti 417 copies en VF de Eyes Wide Shut pour 91 VO —, mais la querelle ne cesse vraiment jamais entre partisans de la version originale sous-titrée et ceux de la version doublée. Jusqu’au début des années 1980, une dizaine de grands auditoriums se partagent le marché du doublage à Paris quand l’explosion de la vidéo bouleverse le marché multipliant le nombre des doublages, phénomène que l’émergence des chaînes câblées accentue.


De la version originale à la version doublée...

Parmi les réalisateurs français qui se sont mis au service de cinéastes étrangers, on retient notamment Louis Malle dirigeant la version française du Parrain de Coppola, Alain Resnais travaillant sur Quintet d’Altman, Michel Deville à qui Stanley Kubrick fait appel à deux reprises (Shining en 1979 et Full Metal Jacket en 1987), Patrice Chéreau qui double le Casanova de Fellini en 1976. Des comédiens parfois fameux prêtent leur voix de façon régulière. Ainsi en va-t-il entre le Britannique Kenneth Branagh et le Français Depardieu. De leur côté, les distributeurs français ont compris l’importance du doublage sur certains marchés étrangers comme les États-Unis : c’est à Mel Brooks que l’on a demandé de réaliser la version américaine des Visiteurs.