Vacarme 10 / chroniques

un menu pour quand l’enfant paraît

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Depuis quelques neufs mois que votre dernier mari en date vous quitta, vous devez bien convenir que vous n’avez pas fait grand chose de votre vie, et qu’elle eût été fort vide si d’autres ne s’étaient chargés de pourvoir aux événements. Force vous fut de constater, avec quelque ébahissement, qu’autour de vous toutes les hétérotes de sexe mâle ou femelle qui vous sont les plus proches se mettaient subitement à procréer plus qu’à leur tour. De tous côtés, l’on vous faisait obligeamment, sans que vous n’ayez rien demandé, les enfants que vous ne sauriez pour l’heure avoir.

Cela valait bien que vous supportiez sans broncher les toquades de vos meilleures amies en cloque et les marottes de vos meilleurs amis en couvade. Aucun risque, dans les dîners, que la conversation ne languisse : la petite gigote ou le petit gigot qui attendait son heure rendit déjà les futurs parents intarissables neufs mois durant, et vous ne sauriez les blâmer, car dans le fond vous étiez aussi curieux qu’eux, et plus ignorant de ces choses. Mais il y en a au moins une que vous avez sue en toute certitude, c’est qu’à votre corps finalement plus consentant que défendant, votre vie allait forcément être changée dès lors que l’enfant paraîtrait. Or c’est désormais chose faite : vous voilà propulsé tonton un tantinet tata, voire parraine ou marrain. Dans ce dernier cas, vous êtes même allée, vous, notoire mécréante, jusqu’à abjurer le diable devant un curé. Mais qu’importent les formes, même si ce ne sont pas les vôtres, vous savez, vous, quelle signification vous donnez à ce geste qui vous engage pour les vingt ans qui viennent, et tout cela vaut bien une messe !

Baptêmes ou pas, face à la multiplication des heureux événements, vos nouveaux devoirs commencent, et le premier d’entre eux est à l’évidence d’offrir à chaque naissance un déjeuner ou un dîner, histoire de souhaiter la bienvenue au môme. Il n’en conservera aucun souvenir conscient, mais pour peu que sa mère l’allaite, ce sera quand même la première fois qu’il goûte votre cuisine. Vous éviterez donc, sachant la médiation lactée très sensible, les saveurs trop violentes, au profit de mets assez doux et subtils. Vous n’oublierez pas un instant qu’en ce jour, au fond de vos casseroles, ce n’est rien moins que le début d’une éducation du goût qui se joue. Votre pédagogie sera donc la suivante :

En entrée, une brouillade truffée :

Par convive, comptez 1 œuf et 5 gr. de beurre.

Pour truffer la brouillade, trois possibilités :

1) Si vous avez la chance de disposer d’une truffe fraîche : placez-la quelques jours avant en compagnie des œufs dans un récipient que vous pouvez fermer hermétiquement. Conservez le tout en bas du réfrigérateur, l’arôme puissant de la truffe se communique ainsi aux œufs.

2) Vous disposez de copeaux de truffe : après les avoirs étuvés, vous les incorporerez à la brouillade en cours de cuisson. (Méthode combinable avec la précédente.)

3) Vous disposez d’huile truffée (huile d’olive dans laquelle ont mariné des truffes, pas toujours faciles à se procurer) : quelques gouttes dans les œufs battus suffisent. Ce n’est pas seulement pratique, c’est excellent.

Cuisson de la brouillade : battez les œufs comme pour une omelette, salez et poivrez. Dans une casserole ou une poêle à fond épais, à feu très doux, faites fondre une noix de beurre, versez les œufs battus et remuez en permanence jusqu’à obtenir une consistance crémeuse (comptez environ 10 à 15 mn), en incorporant, par petits morceaux, plutôt sur la fin de la cuisson, le reste du beurre ramolli. Servez immédiatement sur des assiettes ou en ramequins tiédis, accompagné de pain grillé.

En second, une soupe d’agrumes :

Comptez 1/2 pamplemousse rose et 3/4 d’orange par convive, plus le jus d’une orange et d’un 1/2 pamplemousse environ. La qualité des fruits est essentielle !

Épluchez les agrumes, sauf ceux réservés au jus, et séparez soigneusement les tranches. Armez-vous de beaucoup de patience et d’un couteau à lame courte très tranchant, avec lequel vous retirerez délicatement la fine peau qui entoure chaque tranche, sans l’écraser ni la briser. Pressez les fruits restants et ajoutez leur jus aux tranches ainsi pelées. Mettez à rafraîchir pendant une bonne heure. Servez bien frais mais non glacé dans des coupes, entre la brouillade et le canard.

Ensuite, des cuisses de canard aux navets confits et girolles poêlées :

Prévoyez 1 belle cuisse de canard fermier par personne, environ 500 gr de petits navets et 2 grosses poignées de girolles fraîches pour 3 personnes, un petit bouquet de persil, gousses d’ail, poivre, sel fin, gros sel, sucre.

Disposez les navets épluchés et coupés en gros cubes au fond d’une cocotte en verre allant au four. Saupoudrez-les d’un peu de sucre, de sel et de poivre. Frottez les cuisses de canard d’un peu de gros sel, poivrez-les légèrement, et disposez-les dans la cocotte sur le lit de navets, peau tournée vers le haut, en plaçant sous chacune une belle gousse d’ail. Préchauffez le four à 230-250° et mettez à cuire, cocotte fermée, pendant environ 45 mn. En cours de cuisson, s’il vous semble que les cuisses risquent de trop se dessécher, ouvrez une fois ou deux le couvercle pour les arroser de graisse de cuisson. Si au contraire la peau n’est pas suffisamment dorée et croustillante, terminez la cuisson sans couvercle.

Nettoyez les girolles et faites-les revenir doucement dans une sauteuse avec un peu de matière grasse — n’hésitez pas à prélever quelques cuillères de la graisse que rendent les cuisses de canard en cuisant. Préparez un hachis d’ail et de persil, incorporez-en la moitié à mi-cuisson et le reste en fin de cuisson ou, si vous avez réservé les girolles un moment hors du feu, au moment où vous les réchauffez à feu plus vif juste avant de servir. Ne salez qu’à ce moment-là.

Au moment de servir, dressez les cuisses dans un grand plat de service préalablement chauffé, disposez au centre les girolles et autour les navets bien égouttés de la graisse dans laquelle ils ont confit.

Puis une petite salade verte et des fromages.

Et en dessert la charlotte au chocolat et aux écorces d’orange de VACARME n°7, qu’on vous réclame toujours.