illettrisme : dispositifs de lutte

par

L’illettrisme est un concept récent, il date des années 1970. On n’en parlait pas, avant cette date, pour se concentrer sur l’analphabétisme qui concernait le Tiers-Monde ou les travailleurs immigrés pour lesquels des structures et des campagnes furent mises en place, sous l’égide notamment de l’UNESCO. Au début des années 1980, le mouvement associatif français repère une carence grave parmi la population la plus défavorisée et lui donne un nouveau nom : l’illettrisme. C’est dans ce contexte, où l’exclusion et la précarité pointent comme nouveaux problèmes de société, que le gouvernement français met en place, en 1984, le Groupe Permanent de Lutte contre l’Illettrisme, le GPLI. Sa mission : susciter, animer et coordonner la politique nationale de lutte contre l’illettrisme.

Qu’est-ce que l’illettrisme ?

L’illettrisme concerne directement les jeunes et les adultes auxquels on a enseigné la lecture, l’écriture et le calcul, pour reprendre un triptyque cher à Jules Ferry, mais qui, pour une raison ou une autre, n’ont pas acquis ou pas conservé cet apprentissage. Dans une société en proie à une technologisation croissante, où la connaissance est de plus en plus l’assurance d’un statut social parce que professionnel, la prise de conscience de cette exclusion constituée par l’illettrisme est quelque peu scandaleuse : que se passe-t-il, que s’est-il passé dans une France moderne où 80 % d’une classe d’âge est promise au baccalauréat, lorsque 10 à 20 % des adultes ne savent ni lire ni écrire ? Les statistiques sont difficiles, le public ne se laisse pas cerner dans un profil-type, les analyses diffèrent : l’évaluation des performances de lecture dans les centres de sélection pour le service national recense ainsi 6,3 % de jeunes recrues en difficulté de lecture en 1995 ; l’enquête sur les conditions de vie des ménages de l’INSEE en 1993-94 qui repère l’illettrisme par rapport « à la lecture habituelle des journaux, revues et livres » ou « à la capacité de remplir un chèque, une lettre pour l’administration » estime que 5,4 % de la population adulte est illettrée. À ces enquêtes s’ajoutent d’autres tristes chiffres : 35 % des RMIStes sont illettrés, 37% de la population carcérale se trouve en difficulté profonde par rapport à la lecture.

Pourtant, la lutte s’est organisée, il y a une myriade d’associations qui luttent contre l’illettrisme, un peu partout en France et nous en avons rencontré quelques-unes qui partagent le même constat : l’illettrisme est une situation d’autant plus difficile à résoudre qu’elle n’a pas droit de cité. Elle est scandaleuse, et les adultes qui en souffrent ont bien du mal à parler de ce handicap et à commencer les démarches pour en sortir.

Qu’est-ce que la lutte contre l’illettrisme ?

« L’exclusion produit de l’illettrisme et l’illettrisme provoque de l’exclusion. », écrit Marie-Chantal Duru, conseillère pédagogique au Comité de liaison pour la promotion des migrants et des publics en difficulté d’insertion. Cette difficulté en boucle a-t-elle été suffisamment mise en évidence par le GPLI ? Un rapport de Marie-Thérère Geoffroy remis au ministère de l’Emploi et de la Solidarité en mai dernier s’est sérieusement penché sur le dispositif et accuse : « Il semble bien que cet organisme (le GPLI) n’ait pas été porté par des orientations politiques très clairement déterminées et qu’il n’ait pas été assez structuré pour organiser d’une manière suffisamment systématique le recensement, la réponse aux besoins et l’évaluation des résultats obtenus, pour assurer une égalité des chances d’accès sur tout le territoire. » En bref, ça pèche partout : recensement des publics — en dehors des journées du service national, le repérage se fait au petit bonheur la chance, lors d’une reconversion professionnelle, à l’occasion d’un contact avec une administration pas nécessairement équipée pour résoudre le problème —, formation — « Les pratiques les plus expérimentées côtoient un certain manque de professionalisme. », dénonce Mme Geoffroy —, et enfin, manque de coordination entre les différents ministères concernés. Autrement dit, tout reste à faire. La réponse multi-critères conseillée au ministère repose sur six points :

  • l’amélioration du diagnostic de l’illettrisme autour du noyau dur constitué par l’ANPE, l’AFPA (association pour la formation professionnelle des adultes), le dispositif RMI, les missions locales et PAIO auxquels s’associeraient les organisations professionnelles et syndicales ;
  • l’organisation de la formation, en établissant un cahier des charges et en professionnalisant la formation ;
  • une articulation meilleure entre l’école et la formation professionnelle ;
  • la cohérence des dispositifs de financement et l’établissement d’un guide repérant ces possibilités de financement ;
  • la création d’une instance à même de coordonner l’action locale, avec la nomination d’un chargé de mission auprès de chaque préfet. Ce chargé de mission devrait animer la polique de lutte contre l’illettrisme au niveau local en partenariat avec les collectivités territoriales et les entreprises, faire le lien entre le travail local et le niveau national et rendre compte des résultats de l’action en vue de...
  • l’évaluation de l’action à tous les niveaux : son impact, la qualité des formations, les outils pédagogiques...

Enfin, une instance nationale de concertation entre les ministères et les institutions impliqués dans la lutte contre l’illettrisme aura pour but de définir une politique nationale, aidée par toutes ces remontées du niveau local, et d’animer sa mise en œuvre grâce à une belle communication vers le grand public et les professionnels. L’enjeu est de taille : on ne peut pas être à la fois assis au groupe des pays les plus favorisés et laisser se développer, dans sa marge, une population qui ne saurait ni lire, ni écrire. Comme en témoigne Véronique Espérandieu, secrétaire générale du GPLI : « L’attente de notre société rejoint ce faisceau d’ambitions individuelles, secrètes et pas toujours faciles à évoquer par les personnes elles-mêmes : il en va de sa modernisation sociale et de son dynamisme économique, de son aptitude à relever les grandes questions économiques et sociales. »