Vacarme 07 / chroniques

wach-arme

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L’ANNONCE

Le vacarme est annonciateur, le son nous avertit de loin, hors de la portée de l’œil. Tremblements de terre ou simple orage, il annonce l’événement. Il dit aussi que l’événement a déjà eu lieu, car le son est lent dans son déplacement.

Le vacarme est d’abord signifiant comme somme, ensemble d’éléments chargés, de bruits dans leur expérience inconséquente.

LA MATIÈRE

Il n’est de son que comme produit de frottements ou de chocs, inclus les voix et le vent.

Mis hors de la masse du vacarme, chaque son, considéré séparément, serait reconnaissable par tous, mais leur nombre accumulé et la distance nous font écran. À la matière de chaque élément se substitue celle de l’ensemble. Si le son de la ruche nous renvoie encore à chaque abeille, c’est parce qu’il y a homogénéité dans la similitude des individus qui produisent chacun et collectivement un même son.

Le vacarme sauvage, moins homogène que la ruche, est nourri d’autant de différences que d’éléments individuels le composent.

Une distance s’impose alors à l’auditeur qui souhaite parvenir à le considérer. Trop près de lui, on ne le voit plus. L’ensemble est perdu au profit de détails ; le vacarme est un corps sonore et non des organes.

Son énergie, plus que la nature de ses éléments, domine.

L’INDIFFÉRENCIÉ

Des différences il y en a dans l’épaisseur du vacarme, puisque c’est la tentative de démonstration des différences qui justement fait vacarme. Chacun bataille pour sa parole.

Mais la particularité du vacarme est d’être unique malgré ses différences, d’apparaître dans son homogénéité, et conjointement par son éloignement et sa multitude, l’unité apparaît, presque monolithique.

LES MOTS

S’il faut employer la terminologie d’autres domaines, comme ici celle de la géologie, étrangère au sonore, ce n’est pas par métaphore. Un vocabulaire assez pauvre définit le son et aucun qualificatif gratifiant n’est offert au bruit.

Le vocabulaire sonore est entièrement voué à l’expression de la gêne que celui-ci procure : tonitruance, assourdissement, rien n’est assez insidieux pour nous le révéler fâcheux, ni assez insistant pour nous confirmer sa lourdeur.

On ne trouve d’exceptions que dans les onomatopées liées à la sonance des objets : cliquetis, sifflement, ou à l’expression des animaux : roucoulement, mugissement... La description du mouvement complète l’information sonore : roulement, éclatement...

Exclure ici le magnifique, complexe et très latin vocabulaire musical. La musique n’est que partie du sonore, non l’inverse.

Il n’est ici question pour nous que de sonore, du bruit, si l’on préfère.

L’ORIGINE

L’origine du monde est sortie du vacarme, du chaos.

Lieu de l’origine, riche de multitudes, il enfante ses différences.

Le tohu-bohu de la Genèse apparut comme désordre sonore et précéda la manifestation des formes, il suivra leurs décompositions. Paradoxalement, multitude et tumulte du vacarme côtoient le vide, l’absence désertique, les ténèbres et l’abîme.

Si le chaos des Égyptiens est une puissance d’avant la création, elle coexiste encore avec le monde formel, l’enveloppant comme immortelle réserve de forces.(S. Morenz, La religion égyptienne, Paris, 1962, p 48-49). Le vacarme est nourricier.

LE LIEU

Le son s’amplifie dans le lieu ou il s’inscrit. Le lieu est l’amplificateur de ses multiples réflexions, de ses rebonds sur les parois du volume qui le contient. Ainsi il s’enfle en échos et se perpétue.

LE REGARD

Le vacarme se considère de loin, hors du phénomène. Notre liberté d’en sortir nous offre l’aptitude de l’apprécier. C’est même par une position extérieure à lui que la conscience arrive. Dedans pas le temps de considérer la somme. Tout est urgence, on se coupe la parole, l’expression est hoquetante dans sa discontinuité.

SYNONYMIE

Le vacarme annonciateur révélait l’origine ou la fin, il est maintenant l’expression du désordre avec et par le sonore.

Les mots se multiplient pour exprimer l’inconcevable, l’incontenable et l’inexprimable.

Fracas, pour l’éclat, Tumulte pour la confusion des cris et des chocs de la foule, Tapage, s’il est moins fort que le vacarme, renvoie à Tintamarre qui évoque le trouble Tohu-bohu plus confus, Carillon, cris scandés, Charivari huées et frappes sur des ustensiles de cuisine, Sérénade par antiphrase, Hourvari des chasseurs, Sabbat diabolique des chats, Raffut, Tam-tam, Bousin du cabaret borgne, Pétard pour attirer l’attention, Potin pour causer le scandale. Plus simplement le Trouble et ses Remue-ménage, Pêle-mêle, Orage, Tourmente, Tempête et Ouragan, Dérangement, Agitation, Affolement, Convulsion, Déchirement, Scandale ou Esclandre, Brouhaha ou Rumeur, ici nous minimisons.

Le Vacarme est un grand tapage discordant et désordonné de choses et de gens : le vacarme de la rue ; c’est un Chahut hostile, un Bacchanal plus inspiré par Bacchus, ou bien un Train, de gens de mauvaise vie, simplement du Chambard accompagné de bouleversements, le Boucan assourdissant d’un lieu de débauche, le Chabanais plus argotique, enfin le Bruit : l’époux monte et fait du bruit.

L’ÉTYMOLOGIE indique :

vacarme :1288, Renart le novel, texte lillois (wascarme) ; de l’interj.moyen-néerl. wach-arme. « Hélas ! Pauvre que je suis »

Stupeur de découvrir qu’à l’origine, wach-arme n’exprime pas la nature bruyante d’un objet sonore.

Ici l’on a à faire au sujet, l’auditeur. Wach-arme marque l’affect de l’auditeur.

Pauvre de moi, qui subis ce vacarme !

Le vacarme est, comme le charivari, adressé au sujet. Le bruit a longtemps été utilisé pour mettre à l’index une personne qui a dérogé aux règles sociales. « Pauvre que je suis » révèle un regard, le regard du supplicié.

Les pratiques du charivari ont disparu de nos jours, et le vacarme n’est plus un moyen utilisé dans nos sociétés pour maintenir l’ordre.

L’ACTION

Plus qu’un immatériel, le vacarme est une « dramaturgie post-moderne, pas de héros, pas de récit », aurait dit J.F.Lyotard (Les immatériaux, catalogue Centre G. Pompidou).

Pas non plus un tissu, ça ne trame pas à plat, dans un plan ; le vacarme s’exprime dans l’épaisseur, dans le tumulte de son épaississement.

Un lieu de rencontre certes, un croisement des expressions singulières, un mouvement brownien, un immatériel qui porte et produit lui-même l’agitation. Mouvement aléatoire, et permanente variation en pure perte, son entropie le maintient en vie. Tout mouvement marque la présence du temps, ici le temps inscrit la vitesse des circulations, la polyrythmie des échanges.

S’il y a somme, c’est comme somme de désirs, dans une volonté, désir irrépressible de dire, placé dans une belle impossibilité.

Car ça parle haut. C’est à qui crie le plus fort sous le poids de la somme, seule la puissance sonore du cri permettra de sortir ce que l’on veut faire entendre.

Mais l’attaque, le timbre, la répétition, ne seraient-ils autant de procédés d’émergence utiles pour mieux apparaître au singulier au-dessus de la mêlée ?

Alors, dans la difficulté de l’échange, le geste arrive et l’emporte. La main soudain levée fait un signe et permet à l’œil de saisir ce que l’oreille ne peut plus entendre.

LA DISPARITION

Il s’éteint comme il commence en pure perte d’énergie. Mais le vacarme n’est vacarme que dans le moment de sa pleine puissance.

Plus inquiétante est une autre disparition : la fréquence décroissante de ses apparitions dans le monde.

Les lieux d’affrontement des corps disparaissent au profit des ordonnancements virtuels informatiques. Les confrontations de paroles s’effacent pour leur inscription silencieuse sur l’écran de l’ordinateur.
La criée du port comme celle de la Bourse ne crient plus, même si toutefois elles ne disparaissent pas tout à fait et persistent dans le vacarme informatique.

Je m’aperçois soudain que je n’ai évoqué ici que le vacarme de la parole.

Est-ce la revue qui déplace mon objet ? Car le vacarme est vacarme de tous sons et d’abord de leur mélange.

L’hétérogénéité fait vacarme.

Post-scriptum

Daniel Deshays est concepteur et ingénieur du son, professeur associé à l’ENSB-A et à L’ENSATT.