Girly Man
Traduit de l’américain par Abigail Lang.
« Appelle ça un corsaire si tu veux, mais jecrois que son pantalon a rétréci ou qu’ellea soudain grandi. » Le bus est arrivé tard,
reparti tôt — quand tous nos soucis étaient lesleurs. Traînant devant le portail d’une autre ta-pette à mouche, friture d’opossum, esquive de
biais. « Mon ballon est coincé, et j’ai besoin d’aidepour le chercher. » Comme si les arbres embrasaient leciel et la chaudière carburait aux faits perdus.
Sois en sûr, de crainte qu’il ne soit sûr de toique le soleil n’a jamais touché ni la brumetrahi. Changeant les contes en jetons
au moment même où la bouche d’incendie se metau vert. Ivre d’absence de promesses, gros de larmes.Pantacourt ? Est-ce que ce n’est pas quand tout s’écoule ?
Perdu dans un bonheur noyé
« Les choses sont ce qu’elles sont, mais nous ne sommes jamaisce que nous sommes » dit-elle en emballant les sand-wichs dans du plastique et en fourrant les larmesdans une flûte.
« Non, ce sont les choses. Elles changentheure par heure devant nous tandis que nous restonsqui nous sommes et où nous étions. »
« Les choses sontsolides ; nous vacillons, fondons, recombinons. »
« Ou ce que nous voyons ne fait pas plus partiede nous que le bébé qui fait signe depuis laforêt : échardes dans le vide pour saisir l’éclat,nous appelons les étincelles le paradis.
Les bras du maçon
Les bras du maçon sont croisésen un nœud. Ils barrent d’une crêteun corps mou, fripé. Les brasdu maçon, impassibles et placides, sontdécalés par rapport à l’expressioninterrogatrice sur le visagedu maçon. Les bras du maçon sontlourds et s’enfoncent dans un fauteuilà oreilles, un sofa élimé,un manège acariâtre, un télescopedithyrambique. Les bras du maçonsont moulés, mouchetés, en miroir, en fusion,empêtrés dans des histoires non assuméesde sentiment d’infériorité. Lesbras du maçon partent flotterdans l’air en suspens ; rayonnent, grâce àune loi profonde, en cascadesd’ardoise, en balises de ruse brisée.Il sont rapiécés, pénétrés, pilonnés,parqués ; réfractaires à ce qui a été,oublieux de ce qui va venir.Les bras du maçon disparaissentderrière un nuage, puis reviennenteffet de flou, jour crépusculaire, diaphanede biais. Les brasdu maçon refusent de révéler le secretde la maison du maçon.Les bras du maçon abjurentles révélations, résument les couturesnégociées d’un rêve déchiré, permisà d’aucuns, propre à aucun.Les bras du maçon courtisentl’indifférence, reflètent la clôture.Les bras du maçon s’arment contrele déni, esquivent les serments, absorbentl’abjection. Dans l’instanttorturé entre jamaiset néanmoins, ils se dissolventdans le formaldéhydedu désir perdu du cœur.Les bras du maçon fondentun moment dans le vif-argentde solides immatériels :perception comme échappée aux charteslest, point de mire. Sombrant dansl’ombre, les bras, genoux,cou, bouche, cuir chevelu, tibias,estomac, yeux du maçonse mêlent en houle, nues,sable, cristal, fourchent, tournent,soufflent, béent, pendent, glissent.Les bras du maçon sontdes sortilèges d’une coexistence parallèle,l’emblème de l’incalculable amalgamé.Ils font profil bas ensilhouette poisseuse, s’envolent quandils sont terrassés, chantent en locutionsau rythme apparent de l’imbricationincurieuse. Echappée en solo marquée pardes vieilleries, des torrents en loques, des braisesd’obsolescence, les brasdu maçon fredonnent un air morne et sombre.Les bras du maçon brisentle silence du cœurdu maçon. Les bras du maçonsont en tout point aussi denses que la brumevague qui obscurcit l’étreintetout équipée du regard du maçon.Les bras du maçonsont le prolongement imparfaitdes pensées du maçon.Aucun océan ne les contient, aucuneforêt n’est aussi profonde, aucun cielaussi continu que le continentborné des brasdu maçon. Les bras du maçonne signifient rien, mais ne cessentjamais d’avoir un sens. Même le plus petit grain de sable s’accordeà leurs contours. Les brasdu maçon sont la preuve empirique del’existence de l’âmedu maçon. Les bras du maçon se perdentdans les tristes et opulentes illusions pâles de la rêverie,se remettent vite du regard détournéou de la répartie vive pour voguervers le paradis velouté de la vulnérabilité.Les bras du maçon sont un produitde l’imagination des épaulesdu maçon. Portés par l’incapacité,suffisants pour l’aspiration, ils sontla destination finale de promessessans défenses et d’aspirations muselées.Les bras du maçon blêmissentde reniement. Sans préparation,les bras du maçon embrassentles pulsions échouées et la générositéversatile que l’époque incarcère.Atlas de l’avenue délaisséedes ultimes déviations, hérautdes rumeurs à contretemps et des ailessouvent solitaires, les bras du maçon sontestampillés par l’artifice du symboleet de la projection. Les bras du maçonbercent l’âme du monde perdu.
Tout le whisky du paradis
Pas pour tout le whisky du paradisPas pour toutes les mouches du VermontPas pour toutes les larmes du sous-solPas pour un million de voyages sur Mars
Pas même si tu me payais en diamantsPas même si tu me payais en perlesPas même si tu me donnais ton anneau minusculePas même si tu me donnais tes boucles
Pas pour tout le feu de l’enferPas pour tout le bleu du cielPas pour un empire à moi tout seulPas même pour la tranquillité de mon âme
Non, jamais, je ne cesserai jamais de t’aimerTant que mon cœur continuera de battreEt même après dans mes mots et mes chansonsJe recommencerai une nouvelle fois à t’aimer
Post-scriptum
Charles Bernstein vit à New York et enseigne à l’Université de Pennsylvanie.
Les trois premiers poèmes ci-dessus sont extraits de Girly Man, paru en 2006 chez University of Chicago Press. Au printemps 2010 paraîtra chez Farrar, Straus & Giroux All the Whiskey in Heaven : Selected Poems. Pour plus d’information : http://epc.buffalo.edu.