Vacarme 09 / processus

hardeurs de cinéastes

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L’Empire des sens, qu’avance souvent Catherine Breillat pour parler de Romance, date de 1976. À la même époque, en France, deux cinéastes se confrontaient, aussi, à des scènes hard. Paul Vecchiali le premier qui signa Change pas de main (1975), revendiquant son film - qui comptait Hélène Surgère et Myriam Mézière au générique - comme intégralement pornographique (« Personnellement, je ne sais pas ce qu’est un film pornographique », expliquait-il en 1991 à la revue CinémAction. « Mais je suis bien obligé de me ranger à la dénomination officielle. Si un film pornographique est un film dans lequel les actes sexuels ne sont pas simulés, en ce sens, Change pas de main, est en effet un film pornographique. ») Un an plus tard, Barbet Schroeder engageait d’authentiques sado-maso pour des scènes de Maîtresse. On était alors en pleine "libération des moeurs" et Exhibition de Jean-François Davy (1975), film où la star du porno, Claudine Beccarie, se racontait sans voile et en image, avait été un joli succès, à tel point qu’un Exhibition II sortait en 1979. Ces expériences - relativement isolées, la censure aidant - ayant fait long feu, c’est aujourd’hui que réapparaissent des scènes "à caractère sexuel explicite" au cinéma.

Dans L’Amant (1992), Jean-Jacques Armand semble y céder avec une certaine ambiguïté (on ne saura jamais très bien quelle est la part de simulacre dans ses séquences érotiques), comme, en 1995, Xavier Beauvois dans N’oublie pas que tu vas mourir et, en 1997, Paul Thomas Anderson avec Boogie nights dont le sujet est, précisément, le cinéma pornographique. Bruno Dumont, en revanche, dans La vie de Jésus (1997) et dans L’Humanité (Grand prix spécial du jury au dernier festival de Cannes), insère de vraies séquences hard, les affirmant essentielles à son propos et faisant état des doublures de ses comédiens au générique. Dans Pola X, de Leos Carax, ce sont les comédiens eux-mêmes (Guillaume Depardieu et Katerina Golubeva) qui ont entièrement assuré la (très belle) séquence d’amour du film. Quant à Lars von Trier, il a fait appel à des professionnels pour une séquence des Idiots (1998). « Je dois quand même dire que nos acteurs étaient déjà allés loin dans leurs tentatives pour faire quelque chose de réaliste. Puis les acteurs porno s’y sont mis et là, c’était dur dur pour les acteurs d’être présents. », consigne-t-il dans son journal de tournage (Les Idiots. Journal intime et scénario, ed. Alpha Bleue,

Les films du Losange, Liberators Productions, 1998). « Le fait de voir quelqu’un baiser sur un film ou un tournage de film, baiser vraiment, ne vous affecte en rien. », commente-t-il. « C’est-à-dire, ce n’est pas dégoûtant, ce n’est pas vulgaire comme dans un film porno, pas le moins du monde. Ce n’est pas sexuellement excitant, ce n’est rien du tout ! C’est comme s’ils étaient en train de se limer les ongles. » Fort de ces considérations, le cinéaste vient de créer Pussy Power, une unité de production entièrement vouée au cinéma pornographique. Affichant exigence artistique et prônant l’importance du point de vue féminin, Lars von Trier a constitué une commission devant veiller à la bonne marche du projet, avec une sexologue, une "hardeuse", une ex-productrice de films érotiques, deux journalistes (l’un travaillant pour un magazine masculin, l’autre pour un magazine féminin) et une mère de famille. Une première série de cinq films (qui comporteront tous deux versions, l’une soft et l’autre hard), sous le titre générique de Uncensored, devrait en sortir. Constance, signé Knud Vesterkov (un pseudonyme), est le premier-né. Il devrait être suivi par des oeuvres de Harl Hartley, Gaspard Noé et Tsai Ming-Liang.