en attendant la Gay Pride avant-propos

Depuis quelques années, les gais ont régulièrement les honneurs de la presse au mois de juin : pas un hebdomadaire qui n’y aille de son dossier, bienveillant ou inquiet, sur ce que seraient les « nouveaux gais ». La nouveauté, en fait, c’est que les médias grand public s’intéressent à eux, parce qu’ils sont de plus en plus nombreux à se montrer, au moins un jour par an, lors de la Lesbian and Gay Pride. En quelques années, la manifestation parisienne est passée de quelques milliers de personnes à plus de cent mille, et essaime entre temps avec succès dans les grandes villes de province. C’est assez aux yeux des médias pour y voir un « phénomène de société » accrocheur : parler des pédés, ou plutôt une certaine façon d’en parler, semble avoir aujourd’hui juste ce qu’il faut de sulfureux pour paraître audacieux à peu de frais. À peu de frais, car cet intérêt va de pair avec la construction d’une image bien sage des gais. Le « nouveau gai » est fréquentable, mieux, il incarnerait presque une nouvelle normalité sociale. Il est modéré, sait rester pudique si d’aventure il doit parler du sida, souhaite assumer sa différence sans la mettre trop en avant, voudrait que sa sexualité ne soit finalement qu’une affaire privée, veut s’intégrer en douceur. Faudrait-il alors croire que les homosexuels, moyennant encore quelques antiviraux et l’aboutissement souhaité du contrat d’union sociale, seraient en passe de devenir la minorité idéale - un peu comme on dit le « gendre idéal » - de nos sociétés en mal d’intégration réussie ?

C’est aller un peu vite en besogne. Quand bien même se dessineraient certaines normes d’une homosexualité majoritairement tolérée, c’est aux marges qu’il y aura toujours du minoritaire, et c’est là que la question de la communauté devient intéressante : la folle infréquentable sera toujours là pour rappeler aux pédés respectables qu’un pédé, quoiqu’il en ait, reste d’abord un pédé.

Le dossier qui suit pose que la question du minoritaire n’est pas soluble dans la description des modes de vie, d’une identité ou d’un habitus social. On n’y dressera donc pas un portrait sociologique de plus des gais d’aujourd’hui. Il interroge au contraire l’histoire d’une communauté constitutivement précaire, mais peut-être forte justement de cette fragilité, de son inaptitude à se pérenniser, contrainte de se réinventer en permanence.

Last but not least, nous n’avons pas voulu faire comme si l’idée d’une communauté mixte, gaie et lesbienne, allait de soi. Au-delà d’une similitude formelle, de l’existence d’espaces ponctuels de rencontre et de solidarité et de la formulation commune de quelques revendications, les pratiques, les expériences, l’histoire des gais et des lesbiennes, ne sont pas les mêmes. Il y a fort à craindre que l’appellation généreuse de « communauté gaie et lesbienne » ne permette d’oublier trop vite que les gouines sont les parents pauvres d’une communauté pédé autrement visible. Nous ouvrons donc ce dossier par une double promesse : nous aborderons cette question de la mixité dans un prochain « feuilleton du minoritaire ». Et nous réserverons aux lesbiennes, minorité dans la minorité, un dossier dans les mois à venir.