Vacarme 29 / Contextes

la mémoire ébréchée de la deuxième gauche

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Dans le paysage syndical, le souvenir des liens entre Foucault et la CFDT sonne comme un scrupule. Il embarrasse les adversaires de la Confédération lorsqu’ils voudraient oublier, au nom de sa stratégie actuelle, cette part de la pensée de gauche que la CFDT a portée. Mais il pourrait embarrasser aussi ses dirigeants, qui semblent avoir perdu depuis le goût de la rencontre et de l’incertitude.

Après le mouvement des intermittents, le débat sur les retraites et celui sur les chômeurs radiés de l’Unedic, évoquer les rapports entre Foucault et la CFDT a toute chance de passer pour une provocation douteuse. Tout indique que dans ces débats, Foucault devrait logiquement se situer du côté des « sans », au milieu des intermittents et des chômeurs - comme il a pu s’intéresser à, sinon défendre, ceux qui se trouvent aux marges de la société. À l’inverse, la CFDT est devenue en quelques années le symbole public des compromis d’une gauche convertie au social-libéralisme, gestionnaire et hautaine.

Observée en ce début des années 2000, la distance entre la conception foucaldienne de l’engagement et le réformisme cédétiste paraît délicate à franchir. Pourtant la rencontre a bien eu lieu, et elle n’est pas anecdotique : elle marque en profondeur, comme on le verra, les engagements de Foucault au cours des années 1980. Si elle paraît si improbable aujourd’hui, c’est en fait pour une double raison.

D’une part, la CFDT a considérablement évolué depuis deux décennies. Rappeler cette évolution permet d’éviter les contresens par anachronisme, en prêtant à la CFDT d’alors sa logique actuelle. Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît, comme le montre la fréquence des lectures oublieuses de cette histoire, qu’elles soient faites par ceux qui voudraient au passage, grâce à la légitimité de Foucault, accréditer la stratégie actuelle de la CFDT (c’est ce que fait par exemple le philosophe du patronat, F. Ewald), ou ceux qui se sentent obligés de dévaluer cette rencontre avec « l’infréquentable CFDT ». Dans un article récent, le sociologue F. Lebaron commence par expliquer que la rencontre s’est produite en raison de l’homologie des positions du philosophe dans le champ intellectuel, et de celles de la CFDT dans le champ syndical - ce qui est déjà un exercice de mécanique bourdieusienne assez pénible. Comme elle n’est au fond pas acceptable à ses yeux, parce qu’il croit déceler dans la CFDT des années 1980 le virus de la logique néolibérale, il finit par plaider pour l’aveuglement du philosophe, qui serait « en partie victime de l’imposition de la nouvelle problématique libérale, faute de maîtriser la totalité des présupposés du débat » [1]. Pour éviter de réviser ses présupposés sur la CFDT, mieux vaut rendre le philosophe aveugle, plutôt que coupable.

D’autre part, la CFDT représente en fait une logique qui, dans la gauche française, a toujours été minoritaire, et dont on ne garde pas l’exacte mémoire. Une gauche qui se méfie de l’État, qui considère par conséquent que la conquête du pouvoir politique n’est pas son primum mobile, et qui préfère se tourner vers les différentes composantes de la société civile.

L’histoire commence fin 1981, au moment où la stratégie de l’Union de la gauche vient de réussir et marque le retour, quarante ans après la Libération, de ministres communistes au gouvernement. La gauche est dominée par cette alliance, tandis que l’extrême gauche, contrairement à la situation que nous connaissons aujourd’hui, est marginalisée. Le paysage syndical est dominé quant à lui par la CGT, qui défend une conception du syndicalisme subordonnée au politique, tandis que la CFDT est une jeune confédération (elle a moins de vingt ans), dont l’ambition est d’incarner une toute autre forme de syndicalisme, plus autonome dans le champ politique et qui ne se limite pas à la sphère du travail, mais qui soit aussi un acteur de la transformation de la société.

La « première gauche », incarnée par l’alliance entre le PS et le PCF, arrive au pouvoir en accordant un primat au politique et à la conquête de l’État ; elle conçoit peu ou prou le syndicalisme au mieux comme une « courroie de transmission » des forces politiques, selon l’expression léniniste, au pire comme une représentation honnête de lobbies professionnels, assise sur une iconologie jacobine et révolutionnaire pour qui l’État peut changer la société verticalement, par la toute puissance du législateur. La CFDT incarne face à elle une « deuxième gauche » minoritaire mais bien vivante, selon l’expression popularisée par un livre de H. Hamon et P. Rotman, consacré à l’histoire de la CFDT au début des années 1980 [2]. Par là il faut entendre une tradition plus minoritaire en France, méfiante envers l’État et le « tout politique », fondée sur l’affirmation du rôle majeur que les acteurs sociaux (la « société civile », les syndicats, etc.) doivent jouer dans la transformation de la société. Cette « deuxième gauche » a eu parfois une traduction politique (le mendésisme, le PSU de M. Rocard...). Gauche deuxième, car elle est vouée à être dominée, parfois ignorée et parfois en conflit avec la gauche première, mais gauche pleine et entière, la CFDT défendant alors, par exemple, un projet de transformation radicale de la société et de sortie du capitalisme, que symbolise la démarche autogestionnaire, véritable marque de fabrique cédétiste [3].

La rencontre avec Foucault, c’est donc un peu l’histoire oubliée de cette deuxième gauche. Foucault ne s’y est jamais identifié (pas plus qu’il n’a participé à la « première gauche », du reste), mais il a su « travailler avec » elle, selon la formule qu’il utilise pour dire sa conception des relations entre un intellectuel et une force syndicale [4]. La relation entre Foucault et la CFDT n’est pas fondée sur l’influence d’une oeuvre théorique sur des pratiques militantes (comme ce fut le cas pour les mouvements sociaux qui ont, dans les années 1990, repris certains concepts de Foucault), elle n’est pas non plus une relation de soutien médiatique d’un intellectuel à une cause (sur le modèle sartrien). C’est une relation de travail, qui s’appuie sur des proximités conjoncturelles et sur des cheminements plus souterrains.

Le coup d’État en Pologne de décembre 1981 va donner un point de départ à cette rencontre. La répression du syndicat Solidarnosc par le régime polonais met alors la « première gauche » dans l’embarras, en raison des positions défendues par le Parti Communiste. Par realpolitik, le gouvernement choisit de se taire : le ministre français des Affaires étrangères, Claude Cheysson, explique sans rire qu’il s’agit d’une affaire intérieure polonaise. Pour la gauche gouvernementale, la division de l’Europe en deux était en quelque sorte devenue une frontière naturelle. Au lendemain de cette déclaration, Bourdieu contacte Foucault ; ils lancent ensemble un texte-pétition intitulé « Les rendez-vous manqués », publié dans Libération. Foucault et la CFDT partagent ici une commune hostilité envers le PCF, et un intransigeant refus de tout compromis avec le totalitarisme soviétique. Ce n’est pas anodin alors que de refuser la stratégie d’alliance avec les communistes, au nom du sort fait à ceux qui se trouvent de l’autre côté du Mur. De nombreux intellectuels préfèrent d’ailleurs marquer leur soutien au gouvernement, et une contre-pétition est aussitôt organisée.

Pour sa part, la CFDT prend un rôle central dans l’organisation du comité de soutien à Solidarnosc, notamment au niveau matériel, et Foucault se trouve très vite en contact avec la Confédération dans cette tâche. Pendant des mois, ils agiront ensemble au sein du comité de soutien à l’organisation polonaise, avec des « humanitaires » comme B. Kouchner. La Confédération reconnaît dans Solidarnosc une conception de l’action syndicale proche de la sienne, indépendante et critique vis-à-vis des partis politiques, et qui ambitionne de tenir un discours global sur la société. La CFDT se situe ici aux antipodes de la conception cégétiste, à la fois sur le plan idéologique et dans sa conception du syndicalisme. Elle défend une alternative critique à la conception léniniste du syndicalisme, dont elle rejette alors à la fois la conception étroite de la fonction syndicale, l’économisme dans la lecture de la société, le rôle messianique attribué à la classe ouvrière, le peu de cas fait des valeurs démocratiques, et le projet de transformation qui passe par la conquête de l’État, instrument supposé d’une transformation verticale de la société. La proximité avec l’approche du pouvoir qui anime le philosophe peut alors se donner d’autres objets. La rencontre était assez inéluctable, comme l’explique très clairement Foucault dans un long texte dialogué avec Edmond Maire, alors secrétaire général de la Confédération : « Nous ne nous sommes pas « cherchés » ; « l’alliance » avec une poignée d’intellectuels était sans valeur stratégique pour vous, et le poids d’un syndicat d’un million d’adhérents n’était pas forcément rassurant pour nous. Nous nous sommes retrouvés en ce même point, surpris seulement que ce ne soit pas arrivé plus tôt : depuis le temps que certains intellectuels se coltinaient avec ce genre de problèmes, depuis le temps que la CFDT était un des lieux où la réflexion politique, économique et sociale était la plus active... » [5].

Depuis les années 1970 en effet, la CFDT réunit des intellectuels (A. Touraine, J. Julliard, P. Rosanvallon...), des hauts fonctionnaires et des militants politiques (J. Delors, M. Rocard...), qui trouvent dans la Confédération un espace commun de réflexion sur les transformations de la société française. Le syndicat est, par exemple, persuadé très tôt que la crise dans laquelle l’économie française s’est engagée est structurelle et profonde : il ne suffira donc pas de prendre le contrôle de l’État pour sortir la société française de la crise. La CFDT porte très tôt le diagnostic d’une dualisation du marché du travail, sous les assauts du chômage de masse et de l’évolution technologique de l’emploi. Elle entrevoit dans cette crise un risque majeur pour le syndicalisme, car il représente et défend les « salariés à statuts », qui sont ses adhérents, au détriment de facto des plus démunis, privés de statut et peu syndiqués. La défense des précaires n’est pas pour le syndicat un supplément d’âme, et elle va en faire un terrain prioritaire de syndicalisation : les premiers comités de chômeurs sont ainsi fondés par la CFDT dès 1974. C’est là la tâche d’un syndicalisme « global » qui ne se préoccupe pas en priorité de défendre les intérêts catégoriels de ses membres, mais de situer son action dans une analyse d’ensemble de la société ; la défense du « partage du travail », thème majeur de la CFDT jusqu’aux lois Aubry, en est une illustration. Rappeler que la CFDT fut le premier syndicat à s’intéresser aux précaires n’est pas une boutade, mais une réalité historique liée au diagnostic du syndicat sur la transformation durable des normes d’emploi. Elle doit conduire le syndicalisme à bouleverser son approche du monde du travail, et c’est en son sein que de nombreux militants des « sans » (qui quitteront souvent la CFDT dans les années 1990) ont pris en charge la question de la précarité, tel C. Aguitton, le fondateur d’AC !.

Le philosophe aurait pu retrouver les préoccupations de la Confédération sur le terrain de la précarité, mais le deuxième « lieu de travail » avec la CFDT concerne en fait les enjeux de la Sécurité sociale et la crise de l’État-providence. En 1983, Foucault participe à un ouvrage collectif, Sécurité sociale : l’enjeu (Syros), commandité par le syndicat. Il y accorde un long entretien au coordonnateur de l’ouvrage, R. Bono, alors secrétaire national de la Confédération [6]. Intitulé « Un système fini face à une demande infinie », le texte montre que si la demande de soins ne peut être « satisfaite » pour des raisons structurelles, il faut débattre collectivement des normes de santé que la société souhaite privilégier, bref faire des choix politiques en ouvrant un vaste débat social, position dans laquelle la CFDT ne peut que se retrouver. Le propos est parfois hésitant, Foucault ne cessant de rappeler les limites de ses propres connaissances sur la Sécurité sociale, et le caractère inachevé de son dispositif conceptuel. C’est pourquoi il faut rester très prudent si l’on veut « enrôler » Foucault sous les oripeaux d’une « pensée cédétiste » de la protection sociale, comme le souligne P. Mangeot [7]. Pourtant, le fil directeur du texte est très utile pour comprendre comment un « travail avec » la CFDT est possible pour le philosophe.

Dès le début de l’entretien, il met en place un triptyque conceptuel, entre sécurité, autonomie, et dépendance, qui peut se résumer succinctement à un paradoxe : la généralisation d’une « sécurité sociale » après guerre a permis une protection des individus contre les risques, elle accroît ainsi potentiellement leur autonomie face à certaines menaces (misère, maladie...), mais elle accroît aussi leur « mise en dépendance », selon la formule qu’il reprend à de nombreuses reprises. Sous deux formes, une mise en dépendance par marginalisation (puisque certains sont exclus du système), et une mise en dépendance par intégration, en leur assignant une place à occuper pour disposer correctement de cette sécurité (une forme d’emploi, un mode de vie particulier, etc.).

On touche ici un élément central pour comprendre le point de rencontre entre Foucault et la « deuxième gauche ». Foucault montre ainsi que la place de la « sécurité sociale » aujourd’hui peut déjà être soumise à la critique et que le système de protection fonctionne avec des conséquences asymétriques, des effets pervers incontrôlés, des formes de normalisation et d’assujettissement : ce qui rapproche alors la démarche de Foucault et celle de la « deuxième gauche » n’est pas à rechercher du côté des « remèdes » proposés, mais dans le diagnostic initial et dans la « distance critique » qu’il suppose, l’insatisfaction envers le système de protection sociale actuel. Un regard critique similaire est porté par la CFDT sur d’autres dispositifs de protection sociale. Dans le débat sur les retraites par exemple, la CFDT avait placé comme priorité dans les négociations la réduction des inégalités que produisait le système de protection sociale lui-même, au détriment des carrières longues des moins qualifiés. De même, elle défendait des mesures donnant davantage d’autonomie aux acteurs, pour décider du moment de leur départ en retraite en fonction de ce qu’ils privilégient (le revenu ou la date du départ). Il ne s’agit pas ici de se demander si ces solutions étaient les bonnes, mais simplement de souligner que la CFDT fondait son approche de la question des retraites sur une lecture critique du fonctionnement du système de protection sociale. Par opposition, l’approche typique de la « première gauche » sur la question de la Sécurité sociale est pour simplifier défensive et financière : nous avons un système de protection sociale qui fonctionne bien, digne héritier des luttes sociales antérieures, mais qui coûte cher et dont il faut augmenter les moyens pour en assurer la pérennité. Le discours défensif est parfaitement assumé par certaines organisations syndicales ou partis politiques aujourd’hui, sur le mode de la résistance au capitalisme libéral, mais il est frappant de voir qu’il s’appuie sur une sorte de mythification de l’État-providence constitué après guerre, et sur l’absence de regard critique sur ce qu’implique un système de protection sociale comme le nôtre, dans la vie des êtres qu’il gouverne [8]. La drôle de rencontre entre Foucault et la CFDT a cela d’utile qu’elle soumet à la question notre rapport au système de protection sociale actuel, replace notre histoire collective dans le temps long de ses structures nées après 1945, et non dans le temps court des débats sur la mondialisation actuelle.

Si la distance entre la « première gauche » et l’analyse de Foucault paraît donc bien grande, on voit bien comment le regard porté sur ses textes pourrait à l’inverse être soumis à une « lecture de droite » - F. Ewald et D. Kessler, le promoteur de la « refondation sociale » au Medef, ne se sont pas privés de le faire - affirmant qu’il faut réduire les systèmes de protection pour éviter les effets de mise en dépendance [9]. Ils viennent au fond chercher chez Foucault une légitimation de la critique de la protection sociale qu’ils portent au nom de la promotion d’une nouvelle attitude face aux risques de l’existence. La critique de la protection sociale qu’ils proposent est en fait moralisatrice (il faut responsabiliser le peuple, qui tire sur la couverture des droits sociaux), et se fonde sur un transfert de pouvoir vers l’entreprise, qui saurait bien mieux gérer les risques (le texte plaide pour un nouveau capitalisme assurantiel). On imagine d’ici le rire de Foucault à la lecture d’un tel argumentaire, qui vient chercher chez lui ce que l’on ne trouve jamais : des solutions toutes faites plutôt qu’un exercice du doute et de la constitution de problèmes.

De la critique foucaldienne, faisons plutôt le pari qu’une « lecture de gauche » reste à produire, qui consiste à inventer des dispositifs favorisant l’autonomisation des individus, et leur donnant accès à une vie plus riche, en transformant la logique actuelle de la protection sociale, plutôt que d’en faire un temple à conserver en l’état. Foucault appelle d’ailleurs, tout au long du texte, à mettre en place des dispositifs expérimentaux, à inventer des solutions locales, bref à gouverner autrement le système de protection sociale. On touche là l’un des points de fracture entre les deux gauches, le rapport à l’expérimentation et aux dispositifs locaux. La « première gauche » les considère avec méfiance, comme des atteintes à l’uniformité républicaine de la loi et du droit, voire comme un sous-marin de la flexibilité néolibérale. Le refus de tout dispositif expérimental étendant l’autonomie aux acteurs se fait clairement entendre aujourd’hui au nom de la critique de la flexibilité, mais il est frappant de voir à quel point il s’accompagne en pratique d’un renoncement à la liberté de « mener des expériences », à ce qu’elle pourrait porter en termes de transformations des rapports sociaux, et au fond à l’abandon d’une forme de radicalité positive et joyeuse. Au contraire, la deuxième gauche y voit plutôt une chance d’apporter des solutions innovantes, en faisant le pari que les acteurs locaux seront capables de les porter. Les exemples de cette ligne de fracture sont multiples : sur la réforme des 35 heures, dont l’idée de partage du travail a été historiquement portée par la CFDT, mais qui s’est montrée critique sur le trop faible poids laissé aux négociations locales par les lois Aubry. De même, dans le domaine éducatif, la Confédération n’a jamais cessé de critiquer l’uniformisation centralisatrice de notre système.

Au final, si la CFDT n’a pas à se revendiquer d’une « pensée Foucault », elle a par contre réellement travaillé avec lui. Quand elle continue, même (ou surtout) à contre-courant de la société française, à porter un regard critique et insatisfait sur la protection sociale, les règles du marché du travail ou la culture de la fonction publique, elle poursuit bien cette ligne. En revanche, ce qui frappe le plus dans ces deux dernières années, c’est sa difficulté à continuer de « travailler avec » les autres acteurs de la société française : dans la crise avec les intermittents, le plus inquiétant n’est pas dans les désaccords initiaux, mais dans son incapacité à construire un débat avec eux. De même, suite au débat sur les retraites, la direction actuelle a laissé entendre que les militants en désaccord devaient choisir entre la porte et la leçon de choses, puisqu’ils n’avaient pas « bien compris » ce dont il était question. On voit ici toute la difficulté à conduire un syndicalisme qui poursuit une exception dans le paysage français : progressant dans le secteur privé là où le reste du syndicalisme ne cesse de se recentrer sur le secteur public, il a perdu au cours des années quatre-vingt-dix la fraction la plus à gauche de ses militants, celle qui s’est investie dans les différents mouvements contestataires émergeant alors - SUD ou AC ! doivent beaucoup aux anciens militants de la CFDT. Cette fraction qui, même agaçante, même sans avoir toujours raison, obligeait la Confédération à y regarder à deux fois avant de sortir le stylo du négociateur, en bref l’obligeait à s’intéresser davantage aux problèmes qu’aux solutions.

Notes

[1F. Lebaron, « De la critique de l’économie à l’action syndicale », in L’Infréquentable Michel Foucault. Renouveaux de la pensée critique, sous la direction de Didier Eribon, EPEL, 2001.

[2H. Hamon et P. Rotman, La deuxième gauche - histoire intellectuelle et politique de la CFDT, 1982 (rééd. 2002, Le Seuil, « Points »).

[3Voir le livre de P. Rosanvallon, alors directeur de la revue de la CFDT, L’âge de l’autogestion, Le Seuil, 1976.

[4D. Eribon, Michel Foucault, Flammarion, 1989, p. 322.

[5E. Maire et M. Foucault, « La Pologne, et après ? »,Dits et écrits, IV.

[6Également réédité dans Michel Foucault, Dits et écrits, IV, op. cit.

[7P. Mangeot, « Foucault sans le savoir », in L’infréquentable Michel Foucault, op. cit.

[8P. Rosanvallon propose sur ce point une analyse proche de celle de la CFDT, dans La nouvelle question sociale, Le Seuil, 1995.

[9D. Kessler, F. Ewald, « Les nouvelles noces du risque et de la politique », Le Débat, mars-avril 2000.