avant-propos

la vie ou la bourse

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Deux dates : avril 2001, 39 multinationales du médicament renoncent, en cours de procès, à leurs poursuites contre le gouvernement sud-africain. Novembre 2001, l’OMC proclame la déclaration « Santé publique et propriété intellectuelle ». Le début possible d’une autre ère.

Quelques années auparavant, une bataille pour l’accès aux copies de médicaments dans les pays en développement s’était engagée — une bataille qui opposait les malades aux compagnies pharmaceutiques. Les premiers, privés de l’accès à des médicaments qui pouvaient leur permettre de rester en vie. Les secondes, intransigeantes sur leurs brevets et leurs monopoles. Les laboratoires ont certainement commis une erreur stratégique en faisant front commun contre un pays dans lequel plus d’un quart de la population est atteint du sida et n’a pas accès aux médicaments, faute de pouvoir en payer le prix. Ils l’ont attaqué parce que la législation sud-africaine prévoyait le recours à des flexibilités au droit des brevets, pourtant inscrites dans les accords de l’OMC. L’ampleur qu’a prise ce procès, tout ce qui en faisait un cas d’école en matière de rapports de l’industrie pharmaceutique avec les pays en développement, les ont finalement contraint à reculer.

Quelques mois plus tard, le gouvernement américain décidait de faire produire des copies du médicament contre l’anthrax parce que le prix demandé par le laboratoire Bayer était trop élevé. Tout d’un coup, ils redécouvraient le sens de la notion de santé publique. C’est dans ce contexte qu’elle apparut pour la première fois en intitulé d’une déclaration de l’OMC, lors la conférence de Doha. Au nom de la santé publique on entamait le dogme de la propriété intellectuelle.

Encore fallait-il que « l’esprit de Doha » se traduise dans les faits. Depuis, le combat se poursuit laborieusement, pied à pied. Car tandis que les malades emportaient des victoires ponctuelles, l’industrie pharmaceutique œuvrait avec succès à renforcer le système de protection de la propriété intellectuelle en place à l’échelle internationale depuis 1994. Lorsque nous nous battons à l’OMC, elle avance sur le front des accords bilatéraux ou régionaux.

Les laboratoires ont toujours brandi l’argument selon lequel les prix de leurs médicaments étaient la condition du financement de la recherche et de l’innovation : la bourse, ou la vie. Face à pareil chantage, il était nécessaire d’aller y voir de plus près. C’est ce qu’ont fait les activistes qui se battent pour l’accès aux génériques. C’est ce que nous avons fait dans les pages qui suivent, en nous penchant sur la façon dont s’inventent les médicaments et en interrogeant le cadre législatif dans lequel ce processus s’inscrit. Et en rencontrant l’économiste James Love, pour qui il est grand temps de reformuler les termes du débat sur la recherche pharmaceutique, de sortir du « paradigme du monopole » en proposant d’autres modèles.