Vacarme 18 / Processus

Anatomie d’un rapport Luc Moullet, réalisateur

par

Réalisateur et enseignant, Luc Moullet analyse la production française dans « Les lois secrètes du cinémargent » [1].

Selon Luc Moullet, la question du budget des productions peut être abordée de manière simple : en comptant l’argent que l’on voit à l’écran. Il prend deux exemples, celui de Jean de Florette de Claude Berri, et du Garçu de Maurice Pialat.

Le premier a coûté, selon le CNC, 59 MF dont 13 pour les acteurs et les auteurs vedettes. Sur les 46 millions restant, explique Luc Moullet, on en « voit » tout au plus 15 ou 20. Et le cinéaste de répertorier « cinq lieux de tournage – la maison de Jean de Florette, celle du Papet, deux villages, la garrigue – en décors naturels, à 150 kilomètres maximum les uns des autres, cinq acteurs principaux, quelques seconds rôles, quelques figurants, pas de cascades, pas d’effets spéciaux, pas de somptueux costumes d’époque ». Le Garçu de Pialat annonce un budget de 67 millions (15 pour les grands noms du générique), « encore plus cher, note Moullet, que le grand spectacle de Capitaine Conan ou de Ridicule ». Et de poursuivre : « Je dois dire que j’ai failli mourir de rire (…) car le résultat ne permet nullement de supposer un coût net de 50 millions. Je suis d’autant plus à l’aise pour m’exprimer ainsi qu’il s’agit, selon moi, d’un vrai chef d’œuvre. C’est une chronique intimiste centrée autour de quelques personnages, avec un seul acteur très bien coté au box-office ; compte tenu du fait que Pialat tourne beaucoup de prises (…), on pourrait estimer à un maximum de 15 millions le coût visible du Garçu. » Pour finir, Luc Moullet choisit l’exemple de l’un des films : « Deux ans après la copie zéro, mon producteur m’avait donné un relevé total des dépenses : 36 000 francs. Or le devis CNC atteignait les 250 000 francs, soit 694 % du coût réel. Dans ce cas, la surestimation est imposée par l’administration. Au début, naïvement, je proposais au CNC des devis authentiques, mais le personnel du Centre semblait en être effaré. »

Et d’avancer des raisons du gonflement des budgets : sauf rares exceptions, le CNC n’accorde pas d’agrément de tournage si l’avance sur recettes octroyée atteint 50 % du devis, ou si la part d’une télévision française excède ce pourcentage (ce serait alors un téléfilm), ou encore si l’apport du producteur est inférieur à 15 % du total, une obligation légale récemment supprimée. En définitive, il convient de « gonfler » les dépenses, et surtout – ce qui était le plus grand inconvénient du système – de « justifier » un financement fictif. « En France, conclut le cinéaste économe, on aime bien passer pour des riches, alors que la publicité pour de nombreux films américains récents (Blair Witch, par exemple) repose sur le principe inverse, un principe d’économie ».

Notes

[1Le Cinéma et l’Argent, Nathan Cinéma, 1999.