Vacarme 31 / Cahier

Le musée de la droite, une visite guidée

Entretien avec le Conservateur

Jean Zy, vous êtes le conservateur du tout nouveau Musée de la droite, dont vous avez accepté de nous ouvrir les portes avant son inauguration. Pourquoi ce musée ?

Tout a commencé il y a une vingtaine d’années, par une découverte archéologique inattendue. Au détour de ses recherches sur les institutions anté-démocratiques, la préhistorienne Barbara Wurst a mis la main sur les livres de compte de ce qu’on appelait alors une « entreprise privée » : La Poste. Première stupeur : nous tenions enfin la preuve que les économies primitives reposaient sur la recherche du profit, et donc l’explication de leur écroulement. Mais nous n’étions pas au bout de nos surprises. De fil en aiguille, c’est toute une histoire enfouie qui a été exhumée. Nous pouvons désormais prouver aux sceptiques que le MEDEF a existé. Nous savons aujourd’hui que loin d’être une activité marginale, comme on l’a longtemps cru, le salariat a pu concerner la majorité de nos ancêtres [1]. Nous sommes mesure d’affirmer que Jean-Pierre Raffarin était un personnage réel. Je pourrais multiplier les exemples : si quelques doutes persistent sur l’existence d’une gauche – nos classifications butent notamment sur le cas complexe d’un parti dit socialiste – tout atteste en revanche l’existence de la droite. Il fallait le faire savoir à la jeunesse incrédule. D’où le Musée.

En deux mots, qu’est-ce que la droite ?

Les contemporains n’ont jamais réussi à le savoir : programmes trop confus, volte-face incessantes, contradictions innombrables. La question reste délicate, même avec le recul. Amour du passé ? Haine des pauvres ? Peur du désordre ? Il semble en fait que la droite était avant tout une exacerbation pathologique du désir de gouverner.

Du désir de quoi ?

De gouverner. C’est un peu compliqué. Gouverner, ça veut dire en gros « commander », « se faire obéir », « exercer un pouvoir » : A est gouverné par B si B est en mesure d’obtenir de A qu’il se plie à sa volonté.

Certains reprochent à votre initiative d’exagérer l’importance du phénomène, en lui donnant post mortem une portée qu’il n’a jamais vraiment eue : après tout, la droite n’est qu’une parenthèse éphémère, non ?

Certes : deux siècles tout au plus, de la fin du XVIIIème au début du XXIème. Mais n’oubliez pas que notre temporalité n’est pas celle d’autrefois. L’espérance de vie était alors dérisoire. De nombreuses générations ont donc dû attendre la fin de ce qui nous semble, vu d’aujourd’hui, une simple arriération, un hoquet de l’histoire. Dans l’intervalle, quelle masse d’espoirs déçus, de défaites douloureuses, de vies brisées ! Ce musée est ainsi plus qu’une pédagogie par l’erreur, plus qu’une galerie des monstres : c’est une manière de rendre justice aux vaincus de l’époque. Je pense, par exemple, à Michel Rocard.

Une chose surprend, au fil des galeries : quelques années avant sa disparition définitive, en 2007, la droite s’agite encore, comme dans l’inconscience complète de sa fin prochaine. Sa chute était-elle donc si imprévisible ?

C’est l’une des énigmes à résoudre, en effet : pourquoi un effondrement aussi soudain, aussi complet ? Sur ce point, les scientifiques divergent. Les généticiens avancent une brusque mutation de l’espèce : bloqué dans son développement par des températures basses, l’hémisphère gauche du cortex se serait rapidement épanoui à la faveur du réchauffement climatique – les théories archaïques de la « prise de conscience », restées longtemps sans fondement biologique, trouveraient là une éclatante confirmation. Je n’y crois guère, cependant, pas plus qu’aux autres explications qui cherchent en dehors de la droite la cause de sa volatilisation (diffusion de la revue Vacarme en kiosque, météorite tombé sur le siège de l’UMP, annulation du Salon de l’agriculture, etc.), alors qu’elle contenait en elle-même un puissant facteur d’auto-dissolution : Jacques Chirac.

Que l’on voit ici, grandeur nature. Statue de cire ?

Non, moulage peint. C’est l’un des parti-pris du musée : ne pas reculer devant le réalisme. Je ne vous cacherai cependant pas que cette pièce, comme d’autres, a soulevé dans notre équipe d’épineuses questions muséographiques et déontologiques. Faut-il tout montrer ? Le devoir de mémoire doit-il faire fi des sensibilités ? N’y a-t-il pas des limites à l’effroi ? Nous avons tranché au cas par cas. Par exemple, après avoir longuement hésité, nous avons finalement décidé d’exposer les lunettes de Michèle Alliot-Marie. Le consensus a été immédiat, en revanche sur les canines de Nicolas Sarkozy : pas question.

Sage précaution. Comme dit le poète : « quand la science prend trop de recul, elle tombe. » Jean Zy, merci.

(SG)

colonies

L’histoire des « Colonies » recèle une pièce de choix, exposée sous la forme d’un extrait du très officiel Recueil de l’Assemblée nationale, qui mentionne le dépôt, le mercredi 5 mars 2003, de la proposition de loi n°667 par un groupe non négligeable de membres du groupe UMP (l’omnipotent parti qui soutenait le président Chirac pendant les années 2000). Y figure la signature d’un Philippe Douste-Blazy, identifié il y a peu comme un lointain ministre de la Santé. Elle est formée d’un article unique : « L’œuvre positive de l’ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française est publiquement reconnue. »

Les attendus qui la précèdent justifient l’initiative : « L’histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits : la conquête de 1840 à 1847 et la guerre d’indépendance terminée par les accords d’Évian en 1962. Pendant cette période, la République a cependant apporté sur la terre d’Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup d’hommes et de femmes, souvent de condition modeste, venus de toute l’Europe et de toutes confessions, ont fondé des familles sur ce qui était alors un département français. C’est en grande partie grâce à leur courage et leur goût d’entreprendre que le pays s’est développé. C’est pourquoi [...] il nous paraît souhaitable et juste que la représentation nationale reconnaisse l’œuvre de la plupart de ces hommes et de ces femmes qui par leur travail et leurs efforts, et quelquefois au prix de leur vie, ont représenté pendant plus d’un siècle la France de l’autre côté de la Méditerranée. »
Rappelons que selon d’autres sources la conquête a plutôt commencé en 1830, et nécessité un état de guerre quasi-permanent entre 1830 et 1872 ; après quoi les révoltes furent moins fréquentes. Mais il est prouvé qu’entre 1830 et 1905, la population algérienne, du fait des méthodes extrêmement brutales de l’armée française (alors dite « d’Afrique »), comme les razzias, ou le brûlage des terres destiné à entraîner des famines, eut pour conséquence la disparition de plus de 875 000 Algériens sur un total de 3 millions à l’arrivée des conquérants puis des colons. (OD)

fonctionnaire (haine du)

Qu’aurait été la droite sans eux ? Les fonctionnaires étaient l’ennemi public numéro un, le bouc émissaire idéal, le punching ball préféré. La droite en général était précise dans ses attaques : les vrais méchants étaient alors les syndicats de fonctionnaires qui « manipulent » les agents-crédules, les enseignants-inquiets-pour-leur-métier et les lycéens-à-la-cervelle-encore-molle. De temps en temps, ça débordait. Surtout « entre amis ». Invité lors des premières années du millénaire par la Fondation Concorde, think tank ultra-libéral, le ministre de la Fonction publique et de la Réforme de l’État d’alors, Renaud Dutreil, dit tout haut ce que la droite pense tout bas. « Les retraités de la fonction publique ne rendent plus de services à la nation. Ces gens-là sont inutiles, mais continuent de peser très lourdement. » Ou bien, « comme tous les hommes politiques de droite, j’étais impressionné par l’adversaire. Mais je pense que nous surestimions considérablement cette force de résistance. Ce qui compte en France, c’est la psychologie, débloquer tous ces verrous psychologiques. » Ou encore : « À l’heure actuelle, nous sommes un peu méchants avec les fonctionnaires. Leur pouvoir d’achat a perdu 4,5% depuis 2000. » Le ministre démentit ces déclarations parues dans un hebdomadaire. Mais cela ne suffit pas à arrêter une vaste pétition diffusée sur Internet pour demander sa démission. Le « Mammouth » n’aimait pas qu’on lui parle mal, surtout lorsque son pouvoir d’achat baissait. (CE)

Ouvéa

Le 22 janvier 1987, Alain Poher, président du Sénat, remit le prix Louise Michel (insurgée de la Commune, bagnarde déportée en Nouvelle-Calédonie), à Jacques Chirac (Jacques Chirac).

Au printemps 1988, la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa ressuscitait un très vieux fantasme colonial : le « nègre à colons », barbare renvoyé dans sa caverne, très probablement violeur, usant d’armes blanches d’origine aussi terroriste que douteuse ; manquait juste le cannibalisme. « À peine digne du nom d’homme » (Jacques Chirac). Bernard Pons, ministre des DOM-TOM, trépigne pour que l’assaut soit (enfin) donné. Le 5 mai 1988, à l’exacte veille du second tour de la campagne présidentielle (Mitterrand/Chirac), les vingt-sept otages et les dix-neuf preneurs d’otage étaient tués, certains, blessés et gisant, abattus à bout portant. « On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs. » (Charles Pasqua) (ISS)

l’énigme des « jupettes »

Dans leur travail d’introspection de l’ère dite « Chirac », les chercheurs butent depuis quelques temps sur un terme utilisé à plusieurs reprises : les « jupettes ». Celui-ci apparaît au lendemain de la nomination du premier gouvernement de Jacques Chirac, dirigé par un certain Alain Juppé. On a pensé un temps qu’il s’agissait d’une nouvelle technique de communication imposée à l’ensemble du gouvernement : dans une volonté égalitariste, tous ses membres devaient porter de petites jupes. Mais la mauvaise qualité des archives photos de l’époque ne nous permet pas de l’attester, et aucune jupe courte n’a été retrouvée dans notre fonds d’archives. Parmi les hypothèses émises – atout vestimentaire de la droite, langage codé pour transmettre des informations secrètes à la gauche –, il est probable que ce terme étonnant fût finalement en rapport avec ce fameux Juppé. Cet ancien Premier ministre, adepte de l’idéologie de l’autodissolution prônée par Chirac, vit ses ambitions présidentielles réduites à néant après une histoire mystérieuse de « cassette » (ce point demeure lui aussi obscur), et termina sa vie comme intermittent de la culture et de la joie en donnant des spectacles comiques dans des salles misérables. Les « jupettes » seraient peut-être ces femmes que l’on voit assister au conseil des ministres dans des accoutrements extravagants, et dont on n’arrive jamais à déterminer le rôle politique réel. Cette éventualité paraît néanmoins étrange car il semblerait que la droite distinguait fortement la place des femmes et des hommes : les premières chargées de la famille, des enfants et de la maison, les seconds ayant plutôt la charge de l’obtention de revenus, le tout fondé sur un idéal familial fait d’un père et d’une mère. Il semble que même la gauche ait succombé un temps – en vérité fort long – à cette folle idée, peut-être par mimétisme. On peine à comprendre comment les hommes et les femmes s’accordaient sur ce partage des fonctions procréatrices, mais des recherches exploratoires devraient nous permettre d’aller plus loin. Utilisées comme faire-valoir et porte-bonheur, les « jupettes » auraient constitué des alibis politiques du gouvernement Juppé, avant qu’il ne s’en débarrasse subitement. Le fait reste néanmoins étonnant car nous doutons de l’impact réel sur la population. Fut-elle assez crédule pour croire des hommes et des femmes habillés de la sorte ? La question du genre, qui nous paraît si désuète aujourd’hui, aurait donc joué un rôle majeur dans l’accès aux fonctions politiques et les « jupettes » en constituèrent un épisode singulier. (EC)

pornographie

Dans une petite salle blanche à la lumière très crue sont exposées des photographies d’hommes et de femmes nus, face à deux publicités pour des collants. Au centre, se dressent trois lampadaires urbains, dont les pieds ont été sectionnés pour pouvoir tenir sous le plafond. Au bas de l’un des lampadaires, une urne sur laquelle est écrit : 3, 2 % (1974). Des phrases, sous la forme de graffitis, sont disséminées sous les photos et les affiches : « Je suis un homme averti et pourtant je suis révolté par certaines images. » « Moi aussi, madame, moi aussi, je connais la tentation. Mais je résiste. Je résiste. » « Je veux lutter contre la pollution des esprits. » Sous une vitrine est exposé l’original d’une plainte déposée contre Jean-Paul Sartre, « directeur d’une revue qui incite les jeunes à toutes les libertés sexuelles ». Plus loin une grosse boîte remplie de débris calcinés : « Restes d’un tableau détruit par le tribunal de T., après un procès à huis clos en janvier 1971, à la suite duquel huit dessins et une sérigraphie ont également été confisqués au profit de l’État. » La découverte d’un discours prononcé, trente ans après ces évènements, par un député UMP devenu ensuite ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de Vabres, a convaincu de l’importance de cette figure : « Jean Royer était un grand bâtisseur », déclarait Donnedieu. De fait, Jean Royer a contribué avec ferveur à construire l’idée que les années 1970 ont été celles de la Libération Sexuelle. Il y résistait avec force, dans sa ville assiégée de toutes parts, camp retranché qu’il avait bâti entre le Cher et la Loire. (BT)

service public pénitentiaire

Le concept a été promu au rang d’impensable même de la gestion pénitentiaire de droite. En tant que tel, il a valu comme élément discursif légitimant la non-reconnaissance des droits des personnes détenues dans les prisons françaises. On doit à la sagesse d’une dénommée Nicole Guedj, secrétaire d’État aux droits des victimes sous le gouvernement Raffarin III (secrétariat d’État, on doit le signaler, dont le prédécesseur était dévoué au programme immobilier de la Justice), d’en avoir fourni une illustration explicite. Dans sa lettre de janvier 2005, l’Observatoire International des Prisons rapportait en effet que lors des « premières rencontres parlementaires sur les prisons françaises » organisées à l’Assemblée nationale le 1er décembre 2004, Nicole Guedj, « tout en assurant que “la peine de prison ne doit être qu’une peine privative de liberté”, [avait rappelé] « qu’entrer dans une prison subordonne l’individu à un certain nombre de règles dérogatoires au droit commun », et qu’à ce titre il ne [pouvait] être considéré comme un « usager du service public pénitentiaire » ». On y a vu alors, à bon droit, une inversion du fait et de la norme. (SyD)

Post-scriptum

Les conservateurs : Emmanuelle Cosse, Sylvain Dambrine, Olivier Doubre, Carine Eff, Stany Grelet, Isabelle Saint-Saëns, Brigitte Tijou.

Notes

[1Salariat : forme de subordination volontaire par laquelle un individu acceptait d’un autre qu’il s’approprie le produit de son travail, en contrepartied’un dédommagement modique, le salaire. Les raisons qui poussaient à accepter cette condition restent tout à fait mystérieuses.