Le vieux pacifisme et la nouvelle guerre

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La première rencontre du groupe qui allait devenir New Yorkers Say No To War eut lieu le dimanche 16 septembre chez Eve Ensler.

Tandis que nous revenions de notre meeting des New Yorkers Say No To War, il y a quelques semaines déjà, une amie m’a dit : « Pacifiste, c’est un mot mort. On a besoin d’un nouveau mot ». Ma première réaction fut d’approuver de tout mon cœur. L’ère du Vietnam est passée, et la promesse tenue par son catalogue d’action sociale semble s’être éteinte avec elle. Les cyniques de ma génération sont trop jeunes pour se souvenir du Vietnam, et ils veulent sentir que quelque chose se fait pour répondre aux nouveaux problèmes mondiaux auxquels nous sommes confrontés. Après le 11 septembre, le pacifisme, avec ses images de marches, de pétitions, et autres formes de protestations non-violentes, semble avoir manqué l’essentiel. Ce n’est pas que je sois contre ces tactiques - pas du tout, mais nous avons besoin de quelque chose de plus fort, d’une forme d’action qui fasse écho aux efforts contre la guerre, et qui leur donne de l’unité. En réponse aux évènements du 11 septembre, il ne s’agit pas simplement de s’opposer à la guerre, il doit y avoir une alternative claire, efficace, et surtout active, à la décision d’entrer en guerre. Mais quelle forme cette action peut-elle prendre, et de quelle façon le désir d’action des Américains - faucons comme co-lombes - affecte le mouvement pour la paix aux Etats-Unis ?

Selon le sociologue Sidney Tarrow, les mouvements sociaux peuvent accroître leurs chances d’atteindre leurs buts avec succès quand ils s’emparent des opportunités politiques qui s’offrent à eux. Au cours des mois passés, les mouvements pour la paix ont connu des défis aussi bien que des opportunités qui étaient devenues rares dans les dernières décennies. Aux États-Unis, c’est la première fois dans la mémoire moderne qu’ils font face à une violence à grande échelle à l’intérieur du pays, organisée et exécutée par des étrangers. Dans les semaines qui suivirent, le cours normal des choses s’est interrompu. Les politiciens, les militants, les groupes de pression et les citoyens ordinaires ont fait une pause pour envisager la ligne de conduite appropriée. Si beaucoup de citoyens américains exprimèrent avec véhémence leur désir de violentes représailles à la suite des attaques sur le World Trade Center et le Pentagone, le même événement eut des effets opposés dans d’autres milieux. Les attaques ont incité beaucoup d’autres gens à rejoindre pour la première fois des mouvements pacifistes.

À travers les États-Unis, des organisations pour la paix ont réagi avec énergie aux nouvelles circonstances et au nouveau climat politique. Mais quelque chose manque. Leurs objectifs font jouer des points critiques, mais pour les atteindre ils utilisent souvent les mêmes outils bien connus. Les vieux mouvements pacifistes emploient encore le langage de paix qu’ils ont toujours tenu, et les nouveaux mouvements commencent en utilisant le même langage. Ils décrivent leurs objectifs ainsi : « en finir avec le militarisme », et renforcer « le désarmement, la coopération internationale et la justice sociale », grâce à « des alternatives pacifiques à la violence », et non par « l’escalade et les représailles ». Ils utilisent le répertoire désormais familier de l’action sociale - organiser des veilles pour la paix, écrire des lettres aux éditeurs, téléphoner aux invités des talk show, et écrire aux politiciens. Il n’y a rien de faible dans ces mots ni dans ces activités. Ce sont des efforts dignes d’admiration. Mais dans le climat actuel, avec des médias contrôlés par des corporations moins nombreuses et plus puissantes, est-ce que ces réactions sont suffisamment fortes pour influencer la politique du gouvernement ou augmenter le nombre d’adhérents des organisations pacifistes ?

Dans les années 1960, les mouvements pour la paix ont cherché avant tout à promouvoir un Non à la Guerre. Le tribut évident payé à la guerre du Vietnam, qui fournissait un flux ininterrompu de soldats morts, rappelait aux peaceniks américains leur mission et leurs buts. À la fin des années 1960, l’opposition au Vietnam était si forte qu’un Non à la Guerre était efficace dans sa franchise et sa simplicité. Après le Vietnam, les mouvements pacifistes aux Etats-Unis se sont métamorphosés en institutions organisées, et beaucoup se sont largement concentrés sur l’effort anti-nucléaire. Dans ce nouveau contexte, on considéra qu’une simple déclaration contre la guerre n’était pas suffisante. On s’employa alors aux protestations ciblées et aux campagnes militantes pour changer les institutions légales. Les membres du mouvement ont formé des organisations socialement responsables, comme les Médecins pour la Responsabilité Sociale, et les Éducateurs pour la Responsabilité Sociale, parmi d’autres. Après un fort succès initial, le mouvement anti-nucléaire reflua dans les années 1990 avec l’effondrement de l’Union Soviétique et le changement dans la perception publique de la menace. Il a perdu une tribune quand, parmi les éléments les plus modérés du Parti Démocrate, beaucoup furent remplacés par de nouveaux conservateurs et que la tolérance envers la dissidence diminua. En même temps que le Parti Démocrate prenait un tour conservateur, les organisations et le mouvement pacifistes passèrent de mode, retenant l’imagerie hippy des années 1960, et se laissèrent distancer par les groupes des années 1990 plus doués pour faire de l’argent.

Simultanément, des changements internes ont pu affaiblir le mouvement. Dans les années 1990, les menaces de guerre et même de prolifération nucléaire semblaient si lointaines à la population des États-Unis, que beaucoup de militants cessèrent de faire une priorité du mouvement pour la paix. L’institutionnalisation du mouvement signifiait en outre que davantage de groupes avaient surgi en son sein. Ces organisations s’appuient sur des tactiques, comme le lobbying, qui ont perdu l’élément de surprise et d’innovation propre à leurs prédécesseurs moins organisés. Parce que le mouvement n’est pas puissant financièrement, l’usage de stratégies conventionnelles pour promouvoir une vison contestataire peut rendre plus facile à ses opposants la marginalisation de ces groupes. Pour répondre à ces courants et à ces mutations, beaucoup de groupes pacifistes comme les Fellowship for Reconciliation (FOR) et la War Resister League (WRL) ont changé leurs priorités pour se concentrer sur la violence à l’étranger.

Dans le climat actuel, le langage de la paix est si fortement lié au mouvement contre la guerre des années 1960 et à une image de passivité, qu’il obscurcit ces dernières orientations. Tout ce qui est associé à ce langage permet aisément aux journalistes et aux parlementaires partisans de la guerre de disqualifier la logique du mouvement pacifiste plutôt que d’affronter les dilemmes éthiques et moraux qu’il soulève.

Après le 11 septembre

Trois mois après que les tours du World Trade Center se sont effondrées, où est le mouvement pacifiste ? Et que se passe-t-il à New York parmi ses sympathisants ? Il faut d’abord examiner le mouvement pour la paix à la lumière du contexte plus large de la gauche américaine. Avant cet automne 2001, vu de l’extérieur on aurait pu croire qu’il n’y avait pas vraiment de gauche aux États-Unis. Aussi petite fût-elle, elle semblait continuellement marginalisée, dans un désordre chronique, brisée par les luttes intestines et les divisions. Bien qu’il y ait aux États-Unis de brillants penseurs indépendants, à l’intérieur de l’académie ou en dehors, et qu’on assistât au cours des derniers mois à une résurgence des teach-in sur les campus à travers tout le pays, nombre de ces penseurs sont traités comme une entité négligeable dans la société, ou marginalisés au sein de l’académie. Ils sont rarement pris en compte par les médias dominants comme les intellectuels publics qu’ils devraient être.

Il suffit de lire des articles parus après le 11 septembre dans les quelques magazines nationaux de gauche pour constater l’embarras suscité par la perspective de la guerre aussi bien que de la paix. Confrontés simultanément à une authentique peur, à l’urgence d’agir immédiatement et à l’urgence de traduire les criminels en justice, il était difficile pour la gauche de proposer une stratégie claire. Il était difficile aussi de choisir une approche non-violente tout en la faisant paraître efficace. Même s’ils comprenaient ces tensions, les observateurs bienveillants furent découragés de voir des esprits critiques et brillants se quereller en vedette dans les colonnes des journaux, pendant que George W. Bush faisait assaut de phrases et de propositions inconsidérées menaçant des innocents chez nous et à l’étranger. Depuis le 11 septembre, les cris assourdissants réclamant la guerre et la vengeance, combinés à la censure médiatique, ont quasiment noyé les quelques voix qui existaient à gauche, laissant ceux qui désapprouvent les solutions proposées par les conservateurs se demander quelles alternatives seraient possibles, sans savoir de quel côté se tourner. A quelques exceptions près, les médias indépendants n’ont pas su être fédérateurs - confinés dans leur minuscule bateau politique, ils étaient presque chavirés par les accusations et les contre-accusations de leurs polémistes.

Il y eut un moment au début d’octobre - si les grands médias américains reflètent les tendances de l’opinion publique - où les mouvements pacifistes ont semblé au bord de la noyade ou du rejet dans l’insignifiance. Il apparut heureusement que le mouvement et les organisations en faveur de la paix s’en étaient mieux sortis que beaucoup d’écrivains de gauche (maintenant, à la mi-novembre, les écrivains ont rééquilibré la balance). Bien que la tentative d’une mobilisation de masse ne réussit pas comme on l’espérait, le mouvement connut deux succès précoces. Le premier fut dans l’apport d’une contre-information. Des douzaines de listes de diffusion et de site Web, riches en ressources, se sont répandus dans le pays pour répondre au désir d’information des Américains sur Oussama Ben Laden, le Moyen-Orient, l’Afghanistan et même sur l’implication de la CIA dans ces régions. Des sites internationaux d’information, comme le Guardian de Manchester, ou l’Independant de Londres, ont vu leur nombre d’abonnés augmenter de façon spectaculaire. Le second succès précoce fut la marche et le rassemblement pour la paix dans tout le pays le 7 octobre, le jour où les Etats-Unis ont commencé à bombarder l’Afghanistan. À New York, dix mille personnes se sont rassemblées à Union Square et ont marché jusqu’à Times Square pour protester contre les bombardements et réclamer une alternative. Malgré sa confiance dans les vieilles méthodes et les formes traditionnelles de protestation, le mouvement pacifiste a gardé des partisans et peut-être même a-t-il augmenté le nombre ses adhérents dans les jours qui ont suivi les attaques.

Générations

Les Fellowship of Reconcilation et la War Resister League sont deux des plus anciennes organisations pacifistes aux Étas-Unis, fondées respectivement en 1915 et en 1923. Elles s’inspirent de Martin Luther King Jr et de Mahatma Gandhi et croient à l’élimination de la guerre et de ses racines par la non-violence. Dans les années 1990 elles se sont toutes deux repositionnées pour œuvrer à l’élimination de la violence à l’étranger. Fidèles à ses racines religieuses, FOR a envoyé des délégations de leaders religieux et de militants pour la paix en Irak, d’abord pour tenter d’empêcher la guerre, puis pour témoigner des destructions qu’elle avait causées. WRL a défendu la cause d’Haïti, du Rwanda et de la Somalie. Toutes les deux ont été actives dans les guerres de Yougoslavie.

De quelles sorte d’action sociale font-elles la promotion, et quelles sont les techniques qu’elles utilisent aujourd’hui ? Après le 11 septembre, ces deux organisations ont maintenu leurs références à la non-violence et au pacifisme. Elles se focalisent toutes deux sur l’éducation et l’action. La WRL, « croyant que la guerre est un crime contre l’humanité (...) prône la non-violence de Gandhi comme la seule méthode capable de créer une société démocratique, sans guerre, sans racisme, sans sexisme ni exploitation de l’homme. » Elle publie de la littérature pacifiste, y compris son propre magazine, organise des manifestations, forme des coalitions avec d’autre groupes pour la paix et la justice, et soutient les gens qui résistent à l’armée à tous niveaux. Ses membres entraînent à la désobéissance civile et incitent à la résistance à l’impôt de guerre.

De par ses origines œcuméniques la FOR est plus spirituelle dans son approche, mais ses principes sont les mêmes. Elle vise à « développer les ressources d’une non-violence active (...), œuvre à abolir la guerre et à promouvoir la bonne volonté entre les races, les nations et les classes ». Son but est de construire un nouvel ordre social dans lequel l’oppression et l’exploitation ont été éliminées. Faisant écho à l’idéalisme des années 1960, toutes leurs déclarations et leurs appels à l’action sont fondés sur l’amour.
La première rencontre du groupe qui allait devenir New Yorkers Say No To War eut lieu le dimanche 16 septembre chez Eve Ensler (écrivain, actrice et militante féministe). C’était un rassemblement assez spontané de New-Yorkais en état de choc après les destructions au sud de Manhattan, et qui voulaient exprimer leurs inquiétudes et leurs opinions, celles-ci semblant d’emblée différer de l’approche dominante aux États-Unis, et diverger dans une large mesure des vues exprimées par George W. Bush. Ce groupe voulait comprendre les attaques, et étudier des alternatives à la violence des réaction américaines. Il y avait un sentiment d’urgence dans la création de ce nouveau groupe - le sentiment que les approches traditionnelles n’étaient pas satisfaisantes, qu’une nouvelle formation était nécessaire pour répondre aux besoins inédits de la crise actuelle.

Les meetings de NYSNTW donnaient la parole à des intervenants, invités au nom de leurs organisations respectives, afin qu’ils assurent des sessions d’information sur une série de thèmes significatifs - depuis les activités du RAWA (Revolutionary Association of the Women of Afghanistan) en passant par les informations concernant les détenus données par l’ ACLU (American Civil Liberties Union), jusqu’à la manière de répondre aux médias dominants. Ses organisateurs et ses membres sont brillants, dévoués, ils ont beaucoup de relations, et beaucoup sont nouveaux dans le mouvement pour la paix. Ce sont des artistes, des universitaires et des militants. Le groupe est particulièrement significatif parce qu’il est basé à New York, parce qu’il est né pendant une période de peur et de mobilisation, et parce qu’il est composé de New-Yorkais qui furent directement touchés par les attaques sur le World Trade Center. Autrement dit, il possède deux ingrédients critiques pour faire émerger une organisation viable - la capacité de mobiliser des ressources, et une forte identité.

En réponse au 11 septembre, ces trois organisations - NYSNTW, WRL et FOR- ont publié des communiqués de presse qui, malgré la différence de ton, faisaient la promotion des mêmes alternatives à la campagne de bombardement suggérée par Bush. Leur commun argument était que les attaques sur New York et Washington devaient être considérées comme un crime, et de ce fait leurs auteurs devaient être poursuivis et mis en accusation en accord avec les lois internationales. Ils menaient leur campagne en organisant des veilles et des manifestations, en distribuant des tracts, et en téléphonant aux législateurs.

En plus de ces formes de protestation conventionnelles, NYSNTW cherche à développer de nouvelles formes d’action sociale. Une série de posters montrant des portraits est destiné à élargir l’espace public dans lequel s’expriment les individus, à l’encontre du mode prédominant d’ « unité publique » et de propagande pour la guerre, et afin de suggérer de nouvelles façons de penser - l’artiste enregistre des interviews de membres de NYSNTW et utilise ces clips pour créer les posters. Ensuite il y a le PropWare (marchandise de propagande). Pour ceux qui s’intéressent particulièrement à la réponse américaine moderne et capitaliste à la guerre - faites les magasins - PropWare est l’idéal. « PropWare, ce sont des slogans, des illustrations, des idées et des grafix, des mots, des images, des graffiti, et un Libre-Discours-Hyper-Renforcé consacré à l’idée que la Guerre contre l’Afghanistan (et au-delà) est Injuste. PropWare est idéal pour les prospectus, comme poster et comme auto-collant, ou comme accessoire pour la mode du dernier automne. » C’est une carte rose et brillante avec les mots « No more shopping til the bombs stop dropping » (Plus de shopping tant que les bombes tombent) imprimés dessus. (Tout cela se trouve sur le site :www.nysaynotowar.org.

Obstacles

En dépit des priorités communes - la condamnation de la guerre et le soutien à une alternative légale - les efforts pour organiser un mouvement de masse ont rencontré un succès modeste. Comme souvent dans les mouvements de gauche américains, il est difficile de trouver l’unité, chaque groupe liant son ordre du jour au message commun. Et l’on pense souvent que la marginalisation de la gauche aux États-Unis, surtout parce qu’on lui refuse l’accès aux grands médias, accroît sa tendance à se fragmenter.

En plus de ces divisions, l’un des principaux problèmes du mouvement pour la paix aux États-Unis est « l’ignorance stupéfiante du monde », selon Kimberly Crenshaw, professeur de droit à l’université de Columbia et l’une des organisatrices des NYSNTW. Elle souligne l’importance d’une « instruction globale » à double sens, qui ne vise pas seulement à promouvoir l’instruction dans les régions où elle manque, mais qui exige aussi que les élites américaines soient plus instruites du monde dans lequel elles vivent. Depuis que les médias fusionnent au sein des grandes corporations, il y a une homogénéisation de la majeure partie de l’information disponible aux États-Unis. Une fois la menace immédiate passée, il est donc difficile de prolonger le mouvement. Une instruction globale est peut-être une des meilleures manières d’y parvenir.

Mais il est devenu dramatiquement clair, depuis les victoires militaires de l’armée américaine et de l’Alliance du Nord au milieu et à la fin du mois de novembre, que l’état d’esprit a profondément changé aux États-Unis. Hendrik Hertzberg était l’un de ceux qui défendaient la traduction en justice des criminels pour leurs attaques, dans le premier numéro du New Yorker après le 11 septembre. Dans le dernier numéro il écrit : « En dehors des pacifistes traditionnels, qui s’opposent par principe à l’usage de la force, et d’une minuscule poignée de Rip Van Winkles [1] aux réflexes conditionnés, presque personne ne fait objection aux buts et aux méthodes de la campagne antiterroriste dans leurs grandes lignes. »

Il est difficile de réfuter cette assertion, à cause de l’avertissement « dans leurs grandes lignes » ; et il est vrai que même parmi les militants de New York, le sentiment d’urgence et de panique né de la menace immédiate n’est plus aussi présent qu’il y a quelques semaines. Toutefois, il y a plus d’opposants que ceux qui sont visibles si l’on prend seulement en compte la description de Hendrik Hertzberg. Ce à quoi les gens s’opposent - et c’est le nouveau miracle du mouvement pacifiste ancien - c’est la violation des libertés publiques au nom de la nouvelle guerre. Les femmes d’Afghanistan, qu’on a utilisées pour justifier l’entrée en guerre et pour diaboliser les Talibans, sont maintenant absentes des pourparlers de Bonn. Plus de 1000 immigrés ont été détenus aux États-Unis, privés de droits et de communications avec l’extérieur, certains expulsés pour des problèmes mineurs de visa. Des journaux, des juristes, des citoyens américains et étrangers s’opposent aux tribunaux militaires. Ces violations sont le cri de ralliement de ce mouvement de la paix renouvelé.

Maintenant ?

Les « réseaux de soutien » sont un moyen précieux pour promouvoir internationalement la justice et les droits de l’homme, selon les politologues Margaret Keck et Kathryn Sikkink. Ils s’appuient sur des techniques capables de bâtir des solutions autrement, en cherchant les occasions politiques pour faire valoir leurs arguments, et en élargissant leur rayon d’action et leur accès à l’information. Ces dix dernières années, les militants de la campagne pour prévenir les violences contre les femmes, ainsi que le mouvement écologiste, ont accru spectaculairement leur impact en utilisant des réseaux de soutien internationaux. Les anciens mouvements pacifistes peuvent-ils pour autant affronter la nouvelle guerre ? Oui, il le peuvent, s’ils font preuve de stratégie, de plus de coordination, et s’ils utilisent des réseaux de soutien.

Il y a deux étapes claires et décisives que les mouvements de la paix doivent franchir pour assurer leurs forces et accroître leurs effectifs. D’abord nous devrions lier avec plus de clarté le mouvement de la paix à d’autres questions. En accompagnant le changement récent de l’état d’esprit des américains, le mouvement NYSNTW s’est prolongé en se concentrant sur un sujet qui est au fondement de son identité : les droits et le rôle des femmes. Les droits des femmes, les libertés publiques et des appels plus ciblés pour la justice peuvent fournir les ressources, les média et les bases pour une action concrète qui aura plus d’écho et qui mobilisera plus de gens que le langage et la stratégie actuels. C’est essentiel.

Ensuite nous devrions rendre ces mouvements internationaux, en les associant à des réseaux de soutien transnationaux. Avec l’accroissement de la globalisation, les citoyens du monde entier sont plus affectés par la politique intérieure américaine qu’ils ne l’ont jamais été. Dans les pays où existent des mouvements pour les libertés publiques, pour les droits des femmes et pour une cour criminelle internationale, il est important que les membres de ces mouvements soutiennent leurs homologues aux États-Unis. Ils devraient aussi demander des comptes à leurs gouvernements, pour leur complicité avec les États-Unis. Il est plus difficile pour le gouvernement américain d’agir contre la justice quand il ne jouit pas du soutien inconditionnel de ses interlocuteurs européens.

Il reste à vérifier si la tragédie du 11 septembre peut unir le mouvement pour la paix, et faire que ses priorités trouvent un écho chez les centaines de milliers de mécontents qui ont rejeté la guerre, mais qui n’ont pas encore choisi les alternatives proposées par les organisations pacifistes traditionnelles. La paix est un fondement pour les organisations qui s’attachent à la justice sociale ; c’est leur dénominateur commun et l’idée qu’elles partagent toutes. Les efforts pour la paix seront plus efficaces aux États-Unis s’ils sont enracinés dans des mouvements sociaux qui sont coordonnés et capables de soutenir les dramatiques changements d’humeur du pays.

Traduit de l’américain par Emmanuelle Gallienne. La version originale est également disponible->art262].

Notes

[1Personnage de conte de fée qui a dormi pendant cent ans (sa barbe et ses cheveux continuant de pousser) et qui s’éveille dans un monde qui le dépasse.