à la bibliothèque

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À la bibliothèque en entrant, pendant quelques instants j’ai envie et j’ai peur. Peur de tout vouloir en même temps et d’en être submergée, peur que ce désir se réduise à pas grand-chose alors qu’il est si grand. Rien de plus délicieux que cette douce peur bourrée d’envie comme une pipe.

A la bibli je n’ai plus peur de rien dès que je respire l’odeur des livres. J’en attrape un dans le dos, j’aime son poids, sa couleur, j’aime le désir que j’ai de lui. Si les phrases m’ennuient, je le repose et promène mon envie inentamée sur les rayons.

Ici tout est ouvert sauf les livres, et je me balade entre ces petites fermetures précieuses et ce grand espace où j’ai le droit, comme les autres, de n’avoir rien à faire que désirer. Je vais, ouverte à quelque chose que j’ignore, qui vient vers moi, une rencontre, un délice imminent. On se croise, on ne se regarde pas, je ne veux pas être observée en train de désirer, on se fait la place sans se dévisager. Il n’y a pas besoin de parole, ici, ni d’explication, je n’ai même pas à justifier de moi-même à l’entrée, ni de mériter ma chance, la bibli c’est gratuit comme l’air, c’est la beauté à tout le monde, celle qu’on grappille timidement quand on est mal assurée de son savoir, celle qu’on happe par grandes lampées.

On peut toucher à tout ; pas de gardien les mains vissées au dos et l’œil méfiant. Dans les bibliothèques que j’aime, les livres sont à portée de main, les rayons se succèdent, peuple silencieux, rempart précieux. Je n’ai pas besoin de doubler les murs de mon appartement avec eux, puisqu’ils sont là, comme les arbres de la rue, comme la rivière du parc, comme mes enfants, ils ne m’appartiennent pas, je sais où les trouver, où les aimer.

Le temps ne coule plus. Je penche la tête à gauche pour lire les titres. Je m’accroupis vers le rayon du bas pendant que, au-dessus de moi, une femme penche la tête à gauche, et nous entamons un ballet gracieux pour ne pas nous gêner, entre les rives des rayonnages.

Dans quel lieu danser ainsi en attente d’émerveillement autour du silence les uns des autres ?

Post-scriptum

Florence Delaporte est conservatrice des bibliothèques et romancière.