Vacarme 32 / feuilletons

sport

Vidal-Lablache et jet privé

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Je viens de jeter un article que j’avais tenté d’écrire sur la finale de la Coupe de France. Je n’ai pas réussi à raconter comment Guy Roux, l’entraîneur d’Auxerre, a loué un avion pour ramener un joueur d’un match en Libye, et des motards pour en emmener un autre à l’aéroport rejoindre la sélection nationale zimbabwéenne.

Pourtant je voyais pas mal de choses intéressantes : le paradoxe entre Guy Roux — son bonnet/survêt’ et son club de patronage — avalant les fuseaux horaires à coup de jets privés, les deux joueurs concernés qui marquent les deux buts d’Auxerre, et Guy Roux qui annonce qu’il n’entraînera plus. Impossible de raconter cette histoire correctement. Mais c’est normal, la situation n’actionnait que des leviers merdiques. Le dernier entraîneur de la France gaullienne se retire. C’est normal, s’il incarne la France du général, c’est qu’il est vieux. Et s’il est vieux, il part en retraite, c’est tout à fait normal.

Je trouvais tout extraordinaire, et au moment de l’écrire, je me voyais relever des évidences sur un ton vaguement narquois, comme quand la musique est bonne et qu’on se sent tellement ridicule en train de danser.

J’avais également l’intention de parler des tatouages de David Beckham. Il s’est fait tatouer le prénom de son fils en lettres gothiques sur l’avant-bras et une sorte de croix gothique dans le dos. Pourquoi le footballeur le plus médiatisé de la planète se fait-il tatouer une croix gothique dans le dos ? Mais c’est mon copain Brad qui a commencé à me parler de ça, et j’ai oublié ce qu’il m’a raconté. Et tout seul, je ne sais pas quoi en penser.

Je voulais parler de cette incroyable capacité qu’ont les Anglais à être anglais ; ces gens produisent des clubs de foot et des groupes de pop music avec un talent unique ; et de manière corrélative.

David Beckham est aux groupes de brit-pop ce que Georges Best est aux Rolling Stones. Ils semblent épargnés par la nostalgie grâce à cette capacité de savoir qui ils sont. Liverpool était mené trois-zéro à la mi-temps de la finale de la Champion’s League, quand Steven Gerrard a sonné la révolte. On a senti en lui toute la frustration du prolétariat Liverpuldien, la force d’une ville toujours menacée par la défaite et jamais battue. Les supporters ont chanté comme toujours You’ll never walk alone, le vieux tube pré-Beatles dont j’ai oublié le nom.

J’adorerais être anglais. Je pense aussi à mon autre copain anglais, Steven, qui me racontait le match de troisième division de sa petite ville, quand le capitaine de l’équipe est venu boire un peu de son thé au moment de tirer un corner. Comme si c’était le plus beau souvenir de sa vie. Il était enfant et anglais, et en Angleterre, les spectateurs sont tout près du terrain.

Mais j’aime bien être français aussi. Guy Roux s’en va, et c’était la personnalité la plus marquée par son identité nationale. Il s’exprime dans un français châtié très école républicaine. On dirait que nous ne reconnaissons que la France rurale, et l’intégration est un processus plutôt urbain. Ce type a amené des Polonais dans les années soixante-dix, puis des Africains dans l’Yonne. Ce n’est pas de la merde. Il a établi un pont entre ruralité et pluriculturalisme assez unique à cette échelle.

Je voulais aussi parler de monsieur Fisher, plombier à LA MACHINE, dont le héros est le polonais Mylaski, qui a ramené la coupe de la Nièvre dans ce gros village minier.

Je voulais parler de cette incroyable capacité des Français de ne pas savoir qui ils sont, c’est à dire cette capacité d’être incroyablement français.

Je trouvais tout incroyable, et au moment de l’écrire, je me voyais danser, et je me sentais ridicule.

Guy Roux arrête d’entraîner, vous vous souviendrez d’un type qui portait un bonnet et un survêt, et qui fustigeait les matchs décalés pour la télévision en fin d’après-midi, parce que c’est l’heure de la traite pour son public.

Je trouvais tout incroyable et me voyais danser.