Vacarme 15 / arsenal

vaines gloires des capitaines la révolution des œillets

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Pourquoi un dossier sur la Révolution des œillets ? Il y a vingt-sept ans, en quelques heures, de jeunes capitaines mettent fin à quarante-huit ans de dictature salazariste. Cette révolution nous plaît : elle est entreprise par des militaires qui ne tirent aucun coup de feu (les quatre morts officielles de la révolution sont à mettre au compte de la police politique de l’ancien régime) et se conclut dans une apothéose de brassées de fleurs au bout de canons.

Avec les capitaines d’avril, nous souhaitons poursuivre le projet, inauguré par la réflexion menée autour des massacres du 17 octobre 1961 à Paris, c’est-à-dire constituer les archives d’un mouvement, d’une lutte, d’un événement qui font partie de notre histoire politique, et réfléchir sur leur représentation et la mémoire qu’il en reste aujourd’hui. La Révolution des œillets connaît une postérité curieuse : elle semble quasiment absente de l’imaginaire politique présent et reste un objet problématique au Portugal. C’est pourtant le 25 avril 1974 que prend fin la dictature qui régnait depuis 1926 : le coup d’État militaire du général Carmona avait alors mis fin à seize courtes années de démocratie et ouvrait la voie à Antonio Salazar, nommé président du conseil en 1932. Salazar avait instauré un
régime fascisant, que rien, pas même sa mort en 1970, ne semblait pouvoir ébranler. Marcelo Caetano se chargeait de poursuivre son œuvre, en particulier les guerres avec les colonies africaines. Mais ce sont précisément des militaires chargés de maintenir l’ordre au Mozam-bique, en Angola ou au Cap-Vert, qui, las de l’extraordinaire violence qu’ils sont tenus d’exercer, vont retourner leurs forces contre la métropole et faire tomber l’autocratie finissante. C’est une surprenante révolution qu’un putsch de jeunes capitaines souhaitant l’instauration d’un pouvoir populaire, mais c’est un étrange destin, pour un tel événement, que de tomber dans l’oubli. Une part sombre de l’histoire du Portugal — l’horreur des guerres en Afrique — a été explorée par les écrivains et les cinéastes, tandis que la journée lumineuse du 25 avril semble n’être plus qu’un souvenir opaque. C’est à la fois admirable et inquiétant, une révolution qui ne produit pas de héros. Que se passe-t-il lorsqu’une histoire ne donne pas naissance à une mythologie ? Nous avons voulu croiser les temporalités, c’est-à-dire nous pencher sur ce qui, dans la révolution elle-même, peut expliquer un tel devenir, mais aussi regarder ce que l’on donne à voir et à comprendre d’un tel événement aujourd’hui. Nous avons
rencontré un acteur direct de la rébellion militaire, jeune capitaine à l’époque ; Maria de Medeiros, réalisatrice de la première fiction sur le sujet ; des historiens, afin de cerner les contours de cet héritage en demi-teinte.