Vacarme 14 / chroniques

Giallonapoli

par

Giallonapoli
Que je marche avec toi seule
dans le jaune de Naples
sous les magnolias des bâtisses
les palmiers des jardins en retrait
et l’araucaria : qu’à présent
tes yeux ouvrent
les chiens distants
et le large matin
quand on meure
et que l’on meure
d’amour alentour.

Midi
Un hasard voulut qu’il passe sous les vastes
vérandas et les glycines
l’homme qui écouta le souffle des chats
à la gare
voie après voie
au point qu’il conserva ses ongles
dans un petit sac de toiles
à peine l’horizon s’arrêta.

La colère n’est pas Éternelle
Le surplomb abrite les férules
inutilement,
d’ailleurs il en est ainsi
les versets aussi se fanent qui chantent :
« La colère n’est pas Éternelle. »

Sélène et ses compagnes
Je suis sûr :
là-haut se trouvaient les grandes
observatrices,
les oliviers compacts et la lune
se couchaient sur les eaux. Et elles
lumineuses
les meilleures d’entre les femmes
avec les yeux qui voyaient
toutes les choses qui se passent en dessous.

Pilate
Ceux-là, ils abandonnent leurs enfants
en bas âge,
ils flânent en complotant avec Lui
les autres recopient à huis clos
toujours le même papyrus.

Extrême
Les plus sages firent cette déclaration
d’intention :
— tout est là-devant, tout est ancien —
Héraclite d’Éphèse, non,
il se couvrit d’excréments
et les chiens de la place l’achevèrent.

Le fantôme dans les pièces
En silence il rassemble les cercles
derrière ses paupières ;
moi, je renoue les douleurs,
son opaque grondement les maintient ;
mais le jour venu
une grâce recevrai
ils poseront encore les mouches au bord
de la fenêtre,
je reverrai les yeux chers
de mes amis.

Allégresse
Quel plaisir
de vous voir admirées
sous les illuminations :
assises sur la place
garnie de cafés,
vous soulevez le monde.

Stones
La photo de mon fils est encore là
entre les feuilles de Cavafis,
si petit
juché sur un piédestal
de silex blanc :
que les dieux errants le protègent,
que les pierres jouent avec lui le jour durant
et que les fiers rochers la nuit,
posés et immobiles dans les eaux,
lui préparent l’aube
à chaque fois.

Port Bou
Il descendit il prit l’autre rue,
parmi les fleurs des lauriers-roses
la calle del cementerio,
proche des bars proches
des planches peintes ;
il lut les empreintes
proches d’une grille.

Mè at cori
« Un peu de baume »
alors même que s’émiette la lune
et moi qui suis en dette envers les cieux
qui s’en moquent
et envers les voix que je capte de la rue.

à la mémoire de Marcello Puglia

Come iscrizione
Que dire.
gai et simple
je vous suis cher.
Car mes yeux rieurs
et l’aisance de mes gestes
vous dispensaient la paix, alentour.

Adjoindre
 : plus de murs de pierres sèches en arrêt,
plus de ponts, d’arbres fruitiers ;
sur les escarpements plus de lunes
suspendues sur la ville énamourée.

Lettre
Voilà c’est comme ça
ce moment en suit un autre :
dehors les chiens lacérés errent
parmi les hommes et les marchés.
Et pourtant de quelques limbes
tu m’écris
et envoies à moi seul
ces pierres précieuses de papier.

Guérisseuse
Les vendeurs de rue me criaient :
« dattes d’Alger, marrons séchés,
vraies cacahouètes,
à l’eau de fer, à l’eau de soufre, venez ! » ;
mais moi, j’invoquais la femme :
qu’elle monte jusqu’à ma loggia
et qu’elle impose sur mes yeux ses mains
jusqu’à ce que guérison s’en suive.

Urgences d’août
Dans ma chambre elles entrent
avec la vaisselle, le cristal
et parlementent, hurlent à longueur
de journée ;
mais la nuit elles déposent à terre,
elles deviennent messagères.
Elles sortent silencieuses à l’air
pour que je repose :
elles ont laissé les merveilles.
Ou est-ce moi peut-être
qui sur les argiles trouve
les visages, les inscriptions
et dans les verres soufflés
la mer lumineuse.

Prétexte
Ils ont effacé l’enseigne
ils ont fermé la salle
où j’admire celui
qui plie ses feuilles.
Et ces chaises
ces tables amassées dehors
c’est un prétexte de les veiller
pour ne point mourir sur l’heure.

Moi qui vis hors des murs du temple
Moi qui vis hors des murs du temple
je jouis de petite béatitude :
je revois chaque fois
mes lieux
où quelqu’un a créé
pour que je pense aux dieux.
Le gecko que je revois
Vide pour de bon ma maison
les plus chers amis partis
les autres morts :
j’époussette je déplace les divans.

Le gecko que je revois
sillonne le mur
où tu as passé la chaux ;
l’automne blesse les jours.

Traduit de l’italien par Caroline Peyron