Vacarme 04/05 / in situ

relire, encore avant-propos

Pourquoi ces quelques texte qui suivent ? D’abord pour des raisons financières : nous n’avions pas les moyens de publier six numéros pour cette année et il nous fallait donc un numéro double, avec plus de pages, mais qui fût finalement moins cher que deux numéros. Ensuite pour des raisons techniques : nous n’avions pas la force ni l’équipe suffisantes pour ajouter 40 pages pensées complètement ensemble comme (on l’espère) le reste du journal, pour le meilleur et pour le pire. Enfin, et seulement enfin (l’argent et l’énergie passent avant. comme d’habitude, ce qui n’est pas nécessairement un bon calcul) : nous aimons ces textes et ces photos, nous les avions (plus ou moins) sous le coude, et nous rêvons toujours de publier de longs textes dignes de pures revues, mais publiés tout de même dans Vacarme, c’est-à-dire dans ce qui serait quand même censé être un journal (avec d’abord de, textes courts, écrits sur le pouce, lus sur un comptoir, etc.).

Mais pourquoi alors aimer et publier ces textes-ci, dont deux au moins ont déjà été publiés ailleurs ? Pour une raison très simple : nous sommes au fond et en surface de furieux défenseurs de la relecture. Ne jamais lire sans relire ce que l’on aime lire. C’est un credo, que voulez-vous. Assez commun, effectivement, mais plus souvent proclamé qu’appliqué. Orson Welles disait : « les films qui ne méritent pas d’être revus ne méritent pas d’être vus ». Quel escroc ! Comment savoir d’avance ? C’est tout nous.

Vous trouverez d’abord un article de Louis Skorecki, Contre la nouvelle cinéphile, publié en octobre 1978 dans le numéro 293 des Cahiers du cinéma où l’auteur occupait alors, selon ses propres termes, « une position marginale ou périphérique ». Parmi les mille et une questions qu’il agite, de front ou au détour d’une phrase, beaucoup conservent une actualité vérifiable chaque jour dans la production cinématographique d’aujourd’hui. Pour n’en citer que quelques-unes : le marketing de l’« auteur » (voyez la façon dont Manuel Poirier a été estampillé « auteur » dès son premier film par Les Inrockuptibles et Libération) ; le style confondu avec la feuille de style (qu’on pense à Tarentino) ; la collusion des systèmes de production télévisuelle et cinématographique qui rend de plus en plus caduque la distinction cinéma/télévision ; notre confort intellectuel qui nous protège du risque et de la découverte.

Ensuite, vous trouverez deux courts textes de Henri Calet, l’un inédit, Offres de service, et l’autre, Les lois de l’hospitalité extrait de Contre l’oubli, ouvrage posthume, paru chez Grasset, qui rassemble les chroniques publiées par Calet dans Combat, puis dans Terre des hommes entre 1944 et 1948. Contre l’oubli, les lois de l’hospitalité, pourrait-on dire. Ce texte de Caler prend une actualité singulière, si l’on n’oublie pas qu’en dépit de la réouverture au cas par cas des dossiers administratifs d’un certain nombre d’étrangers depuis le retour de la gauche au pouvoir, aucun moratoire sur les expulsions n’a été prononcé. Ce premier texte, en attendant la loi.

Enfin, vous trouverez un reportage de Pierre Aussage, totalement inédit celui-là, sur un prêtre franciscain vivant parmi les SDF. Il s’intitule Saint François, patron des anarchistes. Ce texte nous a semblé très beau à la fois par la difficile bonne distance qu’il parvient à tenir par rapport à son objet (cet étrange mélange de générosité presque sur-humaine et de raideur humaine, trop humaine), et par la manière dont il resituait subtilement la question de la croyance et de la foi au cœur même de notre propre rapport à la politique. A coup sûr, nous n’en avons pas fini avec le théologico-politique et on ne se débarrassera pas de Dieu par un simple regard de mépris ou de dégoût à l’encontre des pèlerins venus envahir les rues de Paris au mois d’août. L’auteur utilise ainsi Nietzsche, tout au long de son reportage, semble-t-il pour se protéger de céder à une croyance qui n’est pas sienne (trop séduisante pour être satisfaisante ?), mais peut-être aussi parce que toute sa démarche tente de relever le défi nietzschéen : « Si nous ne faisons pas de la mort de Dieu une victoire perpétuelle sur nous-mêmes, nous paierons longtemps pour ce crime. »