Vacarme 17 / Chroniques

la manière lente

par

Manque d’idées, atonie générale, coassement suspect et sifflements d’une Mélusine dont les flancs rongés de malaria ressemblent à de la vase. - Elle est assise au bord de la fontaine ; ses chevilles roulent sur les galets, sa robe perpétuellement imbibée d’eau ressemble à de l’écume - plus personne n’emploie le mot moire en désignant ce haillon, ou tel autre de ces termes précieux pour lesquels le monde de la forêt a un penchant si marqué.

Au bord de cette fontaine circulaire comme un puits, mais plus profonde que les puits artésiens dont la technique humaine peut obtenir le percement, la fée malade compte les galets à main nue. La nuit tombe, la nuit passe, son dos ne s’accommode pas de ce lit de rocaille. Les bêtes inférieures telles que le ragondin, la loutre, le mulot, les scarabées - tous les fouisseurs - l’anguille, le porc-épic, ne la saluent plus. En moins d’une saison, ils se sont détournés d’elle, ceux qui ne pensent à rien comme ceux qui ont le nez le plus pincé. Car Mélusine est rongée de vermine, ses sorts n’ont plus la portée d’antan - et très vite cela s’est su. Or, dans cette forêt, on ne porte d’amour, on n’a de prédilection que pour la courtisanerie ; un voyageur qui la traverse sera surpris de voir combien le sourire, l’affabilité y sont en vogue. C’en est au point où - semble-t-il - la prédation n’a pas cours. Les pattes, on dirait, n’ont pas de griffes, les dards pas de venin, les crocs fondent à force d’inemploi, et ce sont des cris de toutes sortes, du pépiement au rugissement, chacun étant tout à fait soucieux de se signaler lorsqu’il circule. « L’homme, constatera-t-il, est de loin l’ombre la plus secrète qui se faufile dans ces sous-bois ! » S’il est médecin, et s’il croise Mélusine (cette forme qui palpite comme une étoile de mer couleur d’olive au bord d’un rond d’eau impénétrable), il en viendra à se demander si le déclin de cette femme n’explique pas en partie le curieux régime, mi-anarchique, mi-décadent, auquel on s’adonne dans les environs : la complaisance partout visible, ces œillades dont on se demande, perplexe, à quoi donc elles vous convient, ces parades nuptiales hors de saison, ces camouflages très voyants, ces loups qui piaulent, ces insectes qui grondent, ces croupes qui aguichent des troncs d’arbres, ces mammifères qui frottent leurs ventres à des nids d’insectes afin de les convoquer par l’entremise de leurs sécrétions anales, etc. Il faudrait cependant savoir comment vivait tout ce monde lorsque Mélusine avait la haute main sur elle-même et sur cette petite fontaine dont, à l’approche de la mort, elle semble ne pas vouloir s’éloigner.

Mon amie est revenue de là-bas ce matin, joyeuse comme elle ne l’est plus en ma compagnie.

  • Il faisait chaud, alors on est allé dans le bois, se promener.

Si ma jalousie avait été en éveil, elle aurait argumenté de la sorte : « Dans le jardin où nous sommes, il y a un plan d’eau à côté des bancs, alimenté par un ruisseau ; des grenouilles et des tortues dans ce lac ! Comment avez-vous pu ne pas vous contenter de cette fraîcheur qui - ne me contredis pas - existe au ras-de-terre, dans ces parages qu’une petite averse suffit à inonder ? Là où vous étiez, les herbes sont hautes, la terre mollit dès que l’on prend sérieusement appui avec le pied ; cela sent le buisson - et on ne fait rien d’autre que longer perpétuellement une muraille d’églantiers. Vous n’aviez donc pas besoin, physiquement, pour ce qui est de la fraîcheur sur vos peaux, de quitter ce jardin ! d’aller entre les troncs, sur la mer de mousse, de prendre votre temps là-bas - les chemins y sont creux comme des tranchées, on devine même la nature des métaux présents dans le sol tellement ils le colorent ! Vous n’aviez pas besoin de vous isoler. Car en ce qui vous concerne, mon silence est un abri à part entière. »