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Entre secret et désir Rencontre avec Mariana Otero et Marion Lary

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Vacarme propose, à l’occasion des Journées d’automne de l’École de la Cause freudienne, sur le thème « Être mère, fantasmes de maternité en psychanalyse », un entretien croisé entre les réalisatrices Marion Lary et Mariana Otero accompagné d’extraits de leurs films Désir d’enfant et Histoire d’un secret.

Dans votre film Mariana Otero, Histoire d’un secret, le secret à lever que le titre annonce, ouvre au fil des rencontres sur une énigme, celle de cette femme qu’a été votre mère. Comme dans « À ciel ouvert », le film cerne cette énigme, ce quelque chose qu’on a sous les yeux et qu’on ne voit pas.

Mariana Otero : Mon obsession en faisant ce film était de donner une présence à ma mère, une présence vivante : une présence à son absence et qu’on puisse se dire à la fin du film elle était là parmi nous. Pour construire le film, plutôt que de chercher des descriptions de ce qu’elle était, j’ai choisi des bribes, des petites touches – elle était très vivante, oh elle est grosse dit ma sœur, l’évocation de son rire – avec l’idée qu’à travers ses peintures et les silences, on allait pouvoir imaginer cette femme. Le film devait servir à ce qu’elle soit , aussi étrange que n’importe quel être, aussi vivante. Surtout ne pas fixer quelque chose, pas d’anecdotes : ne pas se dire elle était comme ça, mais elle est là. Je voulais arriver à ce qu’on la perçoive, qu’on la désire, qu’on l’aime… Passer par ses tableaux, ses gestes, c’était la condition de son apparition. Au cours des scènes où je cherche à retrouver, dehors, l’endroit où elle a peint un tableau, quand je dialogue avec la restauratrice, je pensais que quelque chose allait apparaître pour moi aussi.

_Caprice_

Dans votre film Marion Lary, Désirs d’enfant, à travers les paroles de ces femmes, que vous rencontrez une par une, il s’agit pour vous de vous approcher de l’énigme qu’est le désir d’un enfant.

Marion Lary : Le film est parti de cette énigme, d’une manière très intellectuelle, et ne l’a pas résolue, car c’est une question qui ne peut être résolue ! J’ai abordé le désir d’enfant en rencontrant des femmes de ma génération, la première génération de la pilule et de l’avortement libre et gratuit, des femmes proches qui avaient été impliquées dans un cheminement politique qui allait de pair avec un rejet de la famille et qui a un moment donné se mettait à faire des enfants. C’était quelque chose que j’avais envie d’interroger. Et puis c’est le premier film que j’ai fait en tant que réalisatrice. Au cours de ce tournage qui a duré dix ans, j’ai pu résoudre une opposition : je me représentais le fait d’avoir un enfant comme le fait de devenir prisonnière de la vie de famille, rendant impossible de vouloir filmer, créer. Or en faisant ce film, j’ai pu laisser tomber l’assistanat et devenir réalisatrice. Et puis j’ai eu ma fille au cours de ces dix ans…

Quand elle est née, j’étais encore assistante. C’est la maternité qui m’a permis de m’autoriser à devenir réalisatrice. Avec la maternité j’ai aperçu autrement la façon dont les questions intellectuelles se résolvent. Ce questionnement autour du désir d’enfant s’est résolu « physiquement », en deça de moi, dans mon corps…

Marion Lary

Dans les deux films, il y a un rapport particulier au savoir… il s’agit d’aller chercher un savoir très privé et de construire le film avec ce que vous ne savez pas pour le passer au public.

Mariana Otero : Oui, il ne s’agit pas d’exposer un savoir mais de faire vivre au spectateur un questionnement. C’est une démarche propre aussi au cinéma documentaire : l’idée qu’il y aurait quelque chose à savoir est plutôt du côté du reportage, le propre du documentaire, c’est justement de n’être pas du côté du savoir.

Marion Lary : C’est un regard particulier sur ce qu’on filme, ce qu’on cherche…

Mariana Otero : Il s’agit de faire apparaître une forme, de rendre visible quelque chose qui était là mais qu’on ne voyait pas ou qui pouvait paraître ordinaire… C’est ce qui permet que le plus intime puisse devenir universel. C’est par le cinéma que l’histoire de ce secret peut intéresser tout le monde : par l’image, le son, les silences, l’obscurité. Pour cela, il faut travailler la dramaturgie, la mise en scène au sens littéral du terme, cette dimension est fondamentale. Cette rencontre du cinéma et du réel, cette alchimie-là va faire que ça parle à tout le monde, c’est comme un travail sur les mots en littérature, ou en peinture, c’est fondamental. Quand mes étudiants se mettent dans une position d’universalité d’emblée « si je parle de tout, je parlerai à tout le monde », je cherche à leur faire sentir que la place de réalisateur passe par ce plus intime.

Marion Lary : C’est saisir à la fois un point très intime et transmissible, c’est le paradoxe.

Dans chacun de ces deux films, le silence occupe une place qui fait consister des choses très différentes, ce qui fait silence pour vous, Marion, vous pousse à chercher ce qu’ont à dire ces autres femmes de cette énigme : d’où vient cette envie d’avoir un enfant ?, tandis que dans votre film Mariana, c’est votre silence qui permet à ceux que vous rencontrez de parler…

Mariana Otero : Un peu comme dans À ciel ouvert, il y a beaucoup à voir entre psychanalyse et cinéma, concernant ces silences. Pour Histoire d’un secret, je me suis posé la question d’où me placer : derrière la caméra ou dans le plan, et j’ai décidé qu’il fallait que je sois dans le plan, pas à côté du cadre ou hors champ, il fallait que ceux que je rencontre sachent que j’étais là avec eux, dans la scène, mais bord cadre et silencieuse pour laisser la parole venir, qu’ils ne soient pas dans le vide mais que je n’envahisse pas. Juste un regard. Cela a été jusqu’au point où je ne disais même pas « hum » je voulais que l’autre décide de quand c’était fini. Ça permettait que quelque chose se dise.

Marion Lary : Ce silence s’est déplacé au cours du film, ma question sur le désir d’enfant a rejoint mon rapport à la maternité, puisque quand j’ai terminé le film j’avais vécu moi-même cette expérience. La maternité a totalement bouleversé ma vie. L’arrivée de ma fille n’a pas du tout été comme j’imaginais, un empêchement, au contraire, ça a été un autre regard sur le monde, les gens, d’autres rapports. Cela n’est pas venu tout de suite, j’ai mis presque un an à m’acclimater à l’arrivée de cette nouvelle personne. D’ailleurs la nourrice m’a raconté qu’à chaque fois que j’allais chercher ma fille j’avais l’air totalement surprise de la voir…
Le film lui-même est un film choral, il y a celle qui aime la maternité, celle qui ne l’aime pas. J’aime beaucoup filmer des groupes de gens qui peuvent dire une chose et son contraire, ce qui m’intéresse c’est le surgissement de paroles intimes et individuelles qui forment une collection de paroles, comme un portrait d’une génération… La maternité c’est aussi un passage où on quitte l’enfance et on devient adulte. J’avais envie de le traverser avec les gens de mon entourage…

Mariana Otero : J’avais déjà mon fils quand j’ai tourné le film, il avait 4 ans, l’âge que j’avais quand j’ai perdu ma mère. Je l’ai filmé pour une scène que je n’ai jamais montée. Il s’agissait d’une remise en scène du seul souvenir que j’ai de ma mère : elle de dos mettant des spaghettis dans une casserole. Les spaghettis dépassent et petit à petit ils disparaissent dans la casserole, elle est de dos, elle n’a pas de visage. Cette image est la seule qui me reste, j’y tiens, j’espérais qu’un jour elle se retournerait mais elle ne se retourne pas. J’ai filmé cette scène avec mon fils, et moi, je me retournais, on était face à face et les spaghettis s’enfonçaient dans la casserole… mais cette scène je ne l’ai pas montée et je n’en parle même pas dans le film.
Je crois que j’avais envie de n’être pas que fille, d’être aussi une mère au moment où je faisais ce film…

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