Vacarme 80 / Cahier

la création littéraire et la production culturelle de l’arabité

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La littérature romanesque, à la différence de la poésie ne célèbre pas ou peu le rêve national arabe. Peu de fiction qui mette en scène un roman national d’ampleur. Les tensions entre les polarités arabes et islamiques qui parcourent les sociétés et leurs littératures ont-elles joué un rôle ? Pourquoi la poésie plutôt que le roman pour chanter l’unité arabe ?

تنبهوا واستفيقوا أيها العرب فقد طمى الخطب حتى غاصت الركب
فيم التعلل بالآمال تخدعكم وأنتم بين راحات الفنا سلب
الله أكبر ما هذا المنام فقد شكاكم المهد واشتاقتكم الترب
كم تظلمون ولستم تشتكون وكم تستغضبون فلا يبدو لكم غض

Levez-vous, réveillez-vous, Arabes ! Les flots de paroles ont débordé
Point de faux espoirs, vous n’êtes que des brindilles prêtes à trépasser !
Par Dieu, de vous votre berceau se plaint, votre tombe est annoncée

— Levez-vous, réveillez-vous, Arabes ! Ibrâhîm al-Yâzijî (Beyrouth, 1847-1906)

Plus d’un siècle après son « invention », la « nation arabe » n’a guère été portée par la littérature. L’affirmation peut surprendre tellement on a l’habitude d’associer le succès des idées unitaires — du moins à certaines périodes — au discours des élites, notamment culturelles, qui ont choisi, ou accepté, d’en être les interprètes. Il reste étonnant d’observer que le « rêve arabe » n’a pour ainsi dire jamais fourni la trame centrale d’une grande œuvre de fiction alors qu’il a mieux trouvé sa place dans maints discours poétiques.

les limites des premiers romans de la nation arabe : Zaydân et Al-Kawâkibî

À une époque où le roman arabe en est encore à faire ses tout premiers pas, il est logique que le poème, à l’image des vers qu’Ibrahim al-Yaziji écrivit en 1868, soit la forme littéraire retenue par les premiers chantres de l’arabisme. Durant cette époque charnière où les traditions classiques cèdent peu à peu du terrain sous les assauts que le développement de l’imprimé introduit dans les pratiques linguistiques, la rime poétique est encore très loin d’avoir perdu son aura. Elle reste le véhicule ordinaire des exhortations publiques, celui que privilégient les nouvelles idées politiques quand elles choisissent de s’exprimer sous une forme lyrique. Pourtant, bien des décennies plus tard, on cherche en vain de grands textes de fiction qui auraient pris le relais de l’ancien canon littéraire pour chanter, à leur tour, l’unité à construire. Parmi les rares titres qui viennent à l’esprit, certains sont rangés sur les rayons les plus anciens de la bibliothèque moderne. Écrits à la charnière des xixe et xxe siècles, les œuvres de Jurjî Zaydân et d’Abd al-Rahman Al-Kawâkibî figurent parmi les premières à s’être directement saisies, en prose, du projet unitaire. Dans l’un et l’autre cas, ces tentatives soulignent surtout les contraintes qui pèsent sur un tel exercice.

Issu d’une très modeste famille chrétienne du Liban, Jurjî Zaydân décède brutalement au Caire, en 1914, à l’âge de cinquante-deux ans. Journaliste, fondateur de la revue Al-Hilâl et des éditions du même nom, il laisse derrière lui un nombre impressionnant d’ouvrages historiques, philologiques et littéraires. Ces derniers constituent d’ailleurs l’héritage le plus vivant de son œuvre car, un siècle après sa disparition, les quelque vingt-trois romans historiques qu’il compose durant le dernier quart de son existence continuent à trouver des lecteurs. Modèles de cette prose que les pionniers de la modernité sont en train d’inventer, les œuvres de Jurjî Zaydân ont marqué des générations et restent un passage obligé dans bien des systèmes scolaires. Cela tient en grande partie à leur programme narratif : à l’image de Walter Scott avec l’Écosse, Jurjî Zaydân se propose d’être le romancier d’une nation en train de renaître. Imaginée à un moment où l’essor de l’imprimé se conjugue à la diffusion des idées nationalistes, la saga qu’il compose au rythme de près d’un volume par an durant un quart de siècle retrace les grandes heures du passé, d’une manière qui n’a pas de précédent dans sa langue. Adossés à de solides connaissances historiques, ses romans constituent le versant, en prose, de ce que la tradition appelle « les jours des Arabes » (ayyâm al-’arab), à savoir les longues épopées versifiées destinées à conserver les faits saillants de l’histoire passée. Chez Jurjî Zaydân, toutefois, ce projet se dote d’un objectif à la fois pédagogique et politique : en permettant à ses lecteurs de se réapproprier leur histoire, il s’agit bien pour l’auteur, en plein accord avec la mission que se donne les grands publicistes de l’époque, de faire renaître chez eux la fierté d’être arabes en même temps que le désir d’assumer à nouveau leur destin.

Inévitablement influencés par les modèles occidentaux d’un genre particulièrement populaire à cette époque (un auteur comme Alexandre Dumas est ainsi très rapidement traduit avec succès), les romans de Jurjî Zaydân sont, par définition, inscrits dans un temps révolu, quand bien même celui-ci ouvre à un engagement au présent. Mais surtout, ils composent un passé morcelé par l’ampleur à la fois temporelle et géographique du projet. Ce dernier, initialement centré sur l’Égypte durant les premières années, s’étend par la suite à l’échelle de la nation dont il prétend parcourir l’ensemble de la chronologie, dans tout l’espace qu’embrasse aujourd’hui l’expression « monde arabe ». Prévu pour se prolonger jusqu’à rejoindre un temps contemporain à celui de l’écriture, le cycle est interrompu par la mort de son créateur, alors qu’il vient de publier Shajarat al-Durr, dont l’intrigue se déroule aux débuts de la période mamelouke en Égypte, vers le milieu du xiiie siècle. Le caractère rétrospectif de cette fresque narrative, pédagogiquement nécessaire et sans doute littérairement fructueuse, ne pouvait totalement satisfaire un écrivain aussi totalement engagé dans son époque que Jurjî Zaydân. À ses yeux, contribuer à la renaissance de la nation par l’écriture ne pouvait seulement se conjuguer au passé, alors que son projet romanesque impliquait par définition un retrait temporel, même s’il était destiné à être comblé par les effets de sa réception auprès des lecteurs. Ce décalage entre le temps de la fiction et celui de l’actualité politique dut lui paraître suffisamment intolérable pour l’inciter à briser le déroulement linéaire de son œuvre et permettre au monde actuel d’y faire irruption : en 1911, trois ans à peine après le déroulement des événements, il consacrait à la révolution ottomane un roman intitulé Al-inqilâb al-’uthmânî (Le renversement des Ottomans). Néanmoins, le principe d’une continuité temporelle n’est pas la seule limite du projet imaginé par Jurjî Zaydân. À l’image des violentes polémiques que suscita sa nomination en tant que professeur d’histoire musulmane à l’Université alors qu’il était lui-même chrétien (d’obédience orthodoxe), l’entreprise de construction discursive de l’identité nationale imaginée par Jurjî Zaydân achoppe inévitablement sur la question de l’islam : paradoxalement, dans l’histoire littéraire ce monument en prose à l’arabité est en effet communément désignée sous l’expression de « romans de l’histoire de l’islam » (riwâyât tâ’rîkh al-islâm).

Cette tension entre les polarités arabe et islamique, très présente dans les débats de l’époque et jusqu’à nos jours, on la retrouve dans une autre œuvre qui a quasiment disparu du corpus officiel de la littérature arabe moderne, peut-être précisément parce qu’elle en remet en cause les frontières, telles qu’elles ont été tracées au cours du xxe siècle par l’institution culturelle. Imprimé pour la première fois en 1899 au Caire, alors pôle incontestable de la Nahda arabe, Umm al-Qurâ (littéralement « La mère des villes », nom donné par la tradition islamique à la ville de La Mecque), est un texte en prose écrit par le Syrien Al-Kawâkibî. De nos jours, il n’est plus guère mentionné que par les historiens des idées car les spécialistes de littérature, quant à eux, ne s’arrêtent guère sur cet ouvrage écrit par un cheikh réformiste considéré comme un des pionniers de l’arabisme au sein des milieux musulmans. Se présentant comme le récit d’une conférence imaginaire ayant réuni dans la ville sainte de l’islam une bonne vingtaine de délégués venus de toutes les « nations » de l’islam (on y trouve même un représentant des émigrés musulmans de par le monde !), ce texte est pourtant bien une fiction. Elle est, sans aucun doute, assez éloignée des conventions du roman européen mais on peut considérer que c’est précisément ce qui en fait son intérêt du point de vue formel.

En effet, la nouvelle prose arabe encore en gestation n’a pas encore choisi à cette époque de s’insérer pleinement dans le moule, par la suite devenu hégémonique, du roman européen. Cela se produira quelques années plus tard, notamment avec la parution de Zaybab, par Muhammad Husayn Haykal, considéré (à ce titre) comme le premier « vrai » roman arabe. Au contraire, avec d’autres auteurs qui lui sont à peine plus anciens ou qui sont ses contemporains, tels Fâris al-Shidyâq, Francis Marrâsh, Farah Antûn ou encore Muhammad al-Muwaylihî…, Al-Kawâkibî explore ce que l’on pourrait appeler une voie autochtone de la fiction en prose, selon des procédés qui ne sont pas sans rappeler en définitive le travail des jeunes créateurs arabes contemporains lorsqu’ils associent selon des proportions variables, remisent et samplent différents matériaux pris à de multiples sources, parmi lesquelles certaines seulement appartiennent à leurs traditions. Toutefois, alors qu’une partie de la critique arabe actuelle a fini par intégrer à son histoire la plupart de ces tentatives pionnières, déroutantes au premier abord tant elles peuvent être éloignées des formes canoniques, celle d’Al-Kawâkibî continue à être tenue en lisière. Plus que les motifs stylistiques ou esthétiques qui pourraient être évoquées à l’encontre de ce texte, la véritable raison de cette sorte d’ostracisme tient probablement à la nature de son intrigue : construite comme une réflexion autour du destin de la communauté musulmane et non pas arabe (avec d’ailleurs La Mecque comme point focal et non pas Le Caire, Damas ou même Bagdad), Umm al-qurâ reste une fiction qui jette une lumière trop franche sur les incertaines frontières d’un roman national aux bornes identitaires mal assurées.

le roman, un mauvais genre pour l’arabisme ?

Cette difficulté pour la jeune prose de fiction arabe à embrasser la cause nationale incite d’autant plus à la réflexion qu’elle va à l’encontre des hypothèses de Benedict Anderson sur le rôle joué par l’imprimé en général, et par le roman en particulier, dans l’essor des idées nationalistes. Selon l’historien britannique, le roman est en effet la forme littéraire capable de rompre avec la langue-vérité des élites, celle de l’ordre divin. Brisant avec l’ancien rapport au monde qu’illustrent l’épopée ou l’incantation poétique, la fiction écrite en langue vulgaire serait, par excellence, le support d’une vision qui s’inscrit dans un temps nouveau « vide et homogène », celui du calendrier et de l’horloge. Dans le cas du monde arabe malgré tout perçu, du moins par nombre de ses habitants, comme une imagined community en puissance, la difficulté à poser les frontières du territoire national, conjointement à la particularité du rapport à la langue avec le maintien, dans le domaine de l’écrit, du registre classique y compris sous une forme modernisé [1], éclairent la modeste contribution de la fiction en prose à l’imaginaire panarabe.

La « chose arabe »ne figure pour ainsi dire jamais comme sujet premier dans la création romanesque.

Certes, le roman a fini par devenir au cours du xxe siècle le moderne diwan des Arabes, pour reprendre la formule du célèbre critique égyptien contemporain Gaber Asfour [2] ; en d’autres termes, le registre où s’inscrit la chronique de leurs hauts faits, que tenaient, jadis, leurs poètes. Pour autant, cette inversion des rôles ne s’est établie que très progressivement, certaines périphéries s’ouvrant par ailleurs beaucoup plus tardivement que d’autres à la fiction romanesque. Mais à présent que cette dernière règne en maître à peu près partout, l’importance de sa contribution à la production d’un imaginaire national reste très discutable. Naturellement, un nombre non négligeable d’auteurs, tels Naguib Mahfouz pour s’en tenir au plus connu d’entre eux, ont, dans tous les pays de la région, un vivier de lecteurs qui peuvent ainsi davantage « faire communauté », chacun s’imaginant « relié à l’autre, sans pour autant se voir [3] ».

Pour autant, la « chose arabe » ne figure pour ainsi dire jamais comme sujet premier dans la création romanesque. Cela ne signifie pas, bien au contraire, une absence d’intérêt de la part des auteurs pour cette question. En revanche, c’est bien le signe que la narration romanesque s’insère difficilement dans cet horizon. Plutôt que les registres de l’allégorie, du fantastique ou même de la science-fiction dont on peut imaginer qu’ils auraient pu être adaptés au traitement narratif de l’utopie supra-nationale, la poétique romanesque arabe, tout au long du xxe siècle, privilégiant vraisemblance et même réalisme, s’est déployée bien plus naturellement dans le contexte « réduit » de l’État national, avec ses particularités référentielles et même linguistiques (qu’on retrouve dans les dialogues, naturellement, mais de plus en plus dans la totalité du registre discursif de nos jours). Si l’on peut citer un nombre non négligeable de fictions qui se déroulent hors de l’espace premier de leur auteur, celui du pays natal, il s’agit presque toujours de textes semi-autobiographiques dans lesquels le narrateur relate son séjour durant ses années d’études, ou encore ses années d’exil, en un autre pays que le sien, Le Caire ou Beyrouth le plus souvent quand il s’agit d’un déplacement interne à la région. Rares en revanche, pour ne pas dire inexistants, sont les romanciers qui, à, l’image de Sonallah Ibrahim dans Warda, choisissent de dépayser leur fiction dans un ailleurs arabe (le Dhofar, au sud du sultanat d’Oman en l’occurrence), alors qu’ils sont bien plus nombreux à avoir choisi une intrigue se déroulant dans l’altérité absolue d’un pays étranger européen ou même américain.

Parmi toutes les voix qui peuplent cette patrie du lyrisme arabe, celles qui rappellent la question palestinienne occupent une place singulière.

Plutôt qu’un seul et unique « roman arabe », où les frontières de l’espace littéraire se superposeraient à celles, même imaginaires, de la grande nation, il convient par conséquent d’évoquer une mosaïque littéraire formées de pièces de dimensions plus réduites. Assez compatibles entre elles pour être emboîtées les unes dans les autres, ces pièces dessinent une sorte de tableau d’ensemble qui ne saurait pour autant totaliser à lui seul la somme de ses composantes. À l’échelle de la grande nation, le roman arabe est, de fait, une convention. Elle rappelle celle des prix littéraires richement dotés créés ces dernières années dans les pays du Golfe pour récompenser ce que l’on considère comme les meilleures créations : l’accord de façade sur tel ou tel auteur ou roman laisse percevoir sans peine les multiples tractations qui président à la distribution selon des logiques qui ont très peu à voir avec la littérature et beaucoup avec la nécessité de créer, même artificiellement, une image politiquement satisfaisante d’une production harmonieusement répartie au sein des différentes provinces de la nation.

la poétique nationale

Peinant à s’incarner dans la prose arabe de fiction, le rêve arabe, assez logiquement somme toute, est resté davantage habité par la création poétique. Bien plus que les romanciers s’exprimant dans une diachronie frustrante, ce sont les poètes qui font davantage résonner les appels à l’unité dans l’imaginaire arabe moderne par l’instantanéité de leurs métaphores. Si n’importe quel écrivain s’inscrit inévitablement dans un espace particulier qui lui appartient en propre et qui fonde son rapport spécifique à la langue, le poète, sans conteste, est celui qui parvient le mieux à en dépasser les limites, pour créer une communauté, même si c’est souvent pour offrir en partage une commune déploration. Davantage que les faciles triomphes des odes de circonstance, souvent composées à la gloire de tel ou tel leader éphémère, la fibre nationale des Arabes s’émeut par exemple aux lamentations du Syrien Nizar Qabbani [4] se demandant « dans quel cimetière » leur cadavre pourra reposer. Moins connues au-delà des frontières de la région, les interrogations amères de l’Irakien Mudhaffar al-Nuwwâb, longtemps errant d’un exil à un autre, suscitent la même adhésion.

وطني علمني أن أقرأ كل الأشياء
وطني علمني .. علمني أن حروف التاريخ مزورة
حين تكون بدون دماء
وطني علمني أن التاريخ البشري
بدون الحب
عويلاً ونكاحاً في الصحراء
وطني ... هل أنت بلاد الأعداء؟

Ma patrie m’a appris à tout lire,
Ma patrie m’a appris, m’a appris que les lettres
de l’histoire sont falsifiées
quand elles sont vides de sang.
Ma patrie m’a appris que l’histoire des hommes
Sans l’amour
n’est que hurlements, aboiements dans le désert
Ma patrie… Serais-tu le pays des ennemis ?

— Mudhaffar al-Nuwwâb (né en 1934), Watariyât layliyya

Parmi toutes les voix qui peuplent cette patrie du lyrisme arabe, celles qui rappellent la question palestinienne occupent une place singulière, à l’image de Tamim al-Barghoutî dont l’étonnant succès d’un poème sur Jérusalem, en 2007, lors de la toute première édition d’un concours télévisuel interarabe intitulé « Le prince des poètes » (Amîr al-shu’arâ’), fait écho au succès qui ne se dément pas depuis sa création, juste après la défaite de 1967, d’une des plus célèbres chansons de Feirouz sur le même thème (Zahrat al-madâ’în). Sans surprise, les autorités culturelles qui organisaient l’émission n’ont pas couronné le jeune poète égypto-palestinien mais, à la différence des œuvres des autres candidats, son ode à l’arabité de Jérusalem continue une décennie plus tard à être partagée sur les réseaux sociaux, signe s’il en était besoin de la capacité du registre poétique à émouvoir la fibre nationale.

C’est toutefois l’œuvre de Mahmoud Darwich qui offre sans aucun doute le meilleur symbole de la manière dont les aspirations arabes peuvent s’incarner dans une voix poétique. Un demi-siècle après qu’il a été écrit, ses admirateurs continuent à plébisciter un de ses textes de jeunesse, quand bien même il est très loin de figurer parmi les plus aboutis de cet auteur. Parmi les raisons qui peuvent expliquer l’adhésion que suscite l’œuvre en question — à savoir le poème intitulé Carte d’identité, dans lequel le locuteur s’adresse rageusement à l’occupant en déclinant les différents composants d’une sorte de fiche signalétique individuelle — figure, si l’on se tient au registre explicatif adopté dans cet article, le fait que la patrie spoliée par l’envahisseur est tout autant la Palestine occupée que la nation arabe dont l’histoire n’a pas davantage accouché. En effet, dans le célèbre leitmotiv — « Inscris, je suis arabe ! » (Sajjil, anâ ‘arabî) — qui scande les différentes strophes du poème, le cri du Palestinien face à celui qui l’opprime est une protestation dans laquelle peut se reconnaître chacun des membres de la nation, y compris dans la frustration de ses espoirs déçus. De façon pour ainsi dire performative, il associe la dimension à la fois identitaire et politique du mot ‘urûba, la qualité de celui qui se revendique arabe, et son affirmation nationale, fût-elle à jamais frustrée.

Post-scriptum

Yves Gonzalez-Quijano est observateur des mondes arabes. Il est l’auteur d’un blog Cultures et politiques arabes et d’un ouvrage sur l’Internet arabe, Arabités numériques, Actes Sud, 2012.

Notes

[1Ces points ont été précédemment abordés dans deux précédentes contributions publiées dans Vacarme : « Le “roman national” arabe et ses médias », n° 76, été 2016 et « Les territoires perdus de l’arabisme », n° 78, hiver 2017.

[2‘Asfûr, Jâbir, Zamân al-riwâya, GEBO, Le Caire, 1999.

[3Benedict Anderson, L’imaginaire national : Réflexions sur l’origine et l’essor du nationalisme, La Découverte, 1996, p. 40.

[4Voir la citation donnée en exergue du second article de cette série : « Les territoires perdus de l’arabisme ».