la ronde le projet du Grand Paris Express sur la gare de Clamart

par

Itinéraire prévu : entre 45 et 50 minutes

Départ à la gare de Clamart, avenue Jean-Jaurès. Avenue Jean-Jaurès. Rue de Fleury. À droite, franchissement des voies par le pont Calmette. Puis à droite, rue du Chemin-Vert. Rue du Clos Montholon. Au bout à droite, rue Larmeroux. Tout de suite à droite, prendre la rue de l’Avenir. Au bout de cette rue, à gauche, prendre la rue de Châtillon. Puis à droite, la rue du Docteur Georges-Lafosse. À gauche, Villa Eugénie-Drouet. Au bout à gauche, rue Clémenceau. Puis à droite, rue Aristide-Briand. À droite, rue Diderot. À gauche, Villa d’Arcueil. À droite, passer au-dessus des voies par la rue René-Coche. Revenir au point de départ en longeant les voies de l’autre côté, par la rue Paul-Vaillant-Couturier, la Villa Cacheux, l’allée Hoche, le boulevard Stalingrad, le boulevard des frères Vigouroux. Remonter à droite la rue Hébert pour retrouver l’avenue Jean-Jaurès et la gare de Clamart.

Raccourci possible : passer les voies rue Diderot. De l’autre côté, prendre la Villa Hoche sur la droite. Et retrouver le boulevard Stalingrad, le boulevard des frères Vigouroux. Remonter à droite la rue Hébert pour retrouver l’avenue Jean-Jaurès et la gare de Clamart.

La terre

C’est intéressant la terre des périphéries, la terre remuée, la terre à vif, la terre qui sort et qui apparaît alors qu’elle est d’habitude sous les pieds, cette terre là est faite, est-elle faite, cette terre là devrait contenir, contient-elle, cette terre, s’il y a encore de la terre, y a-t-il encore de la terre, on ne sait pas s’il y a encore de la terre ou si tout, tout a été tellement excavé, tellement bouleversé et soulevé et travaillé, tout a été remplacé, on a nettoyé la terre de ses fossiles, éclats, silex, poussières, petites jarres, foyers, pièces à conviction multimillénaires qui empoisonnent la construction de notre avenir, on les a chassés du sol avec les lombrics et collemboles, nématodes, rotifères et tardigrades qui fourmillaient autrefois à même la surface, à raison de 260 millions par m2 et maintenant qu’on a bitumé les sols, qu’on les a aplanis et réagrégés, de quoi sont faits les soubassements, comment tiennent nos fondations, sur quoi nous appuyons-nous si aucun être vivant, pas même la cellule, pas même le protozoaire, pas même la bactérie, ne peuvent trouver de quoi se nourrir, que reste-t-il dans la terre s’il n’y a pas de terre ?

Des dates / 1

Plusieurs dates ont été fixées
dans la mise en œuvre des travaux du Grand Paris Express
des dates non modifiables
non négociables
comme si on pouvait connaître à l’avance
les moments phares de notre avenir.
L’histoire en marche serait en grande partie écrite
avant même qu’on n’ait eu le temps de la vivre.

PMR (Personnes à mobilité réduite)

Le chef de chantier m’a montré l’entrée du tunnel
qui jusqu’au mois de mars dernier permettait de traverser la gare de Clamart
et de rejoindre Vanves et Issy-les Moulineaux.
 
Le chef de chantier a précisé que ce passage
qui permettait aux petites dames avec leurs caddies de faire leurs courses au marché
serait mis aux normes PMR
et je me suis demandé si les normes en question
exigeaient que ce soit toujours des dames petites et âgées
qui dans les banlieues parisiennes comme dans les villes moyennes
poussent les caddies pour faire les courses.
 
Quand les normes PMR et autres changeront-elles ?
 
Et tout en mastiquant cette question lancinante
j’ai continué à marcher en compagnie du chef de chantier
en essayant de calculer le nombre d’années qu’il faudrait
pour que des travaux de grande envergure
finissent par bouleverser de fond en comble nos manières de penser.

Des dates / 2

Plusieurs dates ont été fixées
dans la mise en œuvre des travaux du Grand Paris Express
des dates non modifiables
non négociables
mais des dates éphémères
qu’on oubliera sans doute dans le futur
comme on a oublié les dates des fusillades entre les versaillais et les communards
sur les forts tout proches de Vanves et d’Issy.

Le Clos-Montholon

Entre Clamart, Issy-les-Moulineaux et Vanves
la rue du Clos-Montholon est nulle part.
 
Jadis les bouchers de la ville
venaient y faire paître les troupeaux
avant de les mener à l’abattoir
La rue du Clos-Montholon est nulle part.
 
Elle a donné son nom
à un quartier de Malakoff
situé à distance de son tracé
de l’autre côté des voies
entrelacs de rues étroites
balisées en sentiers de petite randonnée
La rue du Clos-Montholon est nulle part.
 
On y accède par un souterrain
condamné provisoirement
pour cause de travaux d’utilité publique
La rue du Clos-Montholon est nulle part.
 
Le nom ancien de cette artère
le sentier des Nouzeaux
a été repris pour baptiser une petite voie sinueuse
prise entre deux bâtiments sociaux
dans la commune limitrophe de Malakoff
et dans cette migration
quelque chose de sa fonction de son relief et de sa pulsation
s’est effacé
La rue du Clos-Montholon est nulle part.
 
Bientôt on la fermera à la circulation
pour aménager les installations de chantier
qui préfigureront la construction de la nouvelle gare
La rue du Clos-Montholon est nulle part.
 
Je suis née près d’un square du même nom
aux alentours de la rue Pierre-Sémard
elle aussi surmontée d’un pont suspendu
dont la vocation était pérenne
à la différence de celui qui en 2017
surplombera provisoirement les rails SNCF
La rue du Clos-Montholon est nulle part.
 
Elle deviendra un accès privilégié
à l’une des 68 gares du Grand Paris Express
avec sa verrière de sept mètres de haut
et ses tunnels en béton armé
accélérateurs de liens, d’échanges et de flux en tous genres
entre Issy-les-Moulineaux, Malakoff, Vanves et Clamart.
Mais en attendant cette ère interconnectée
La rue du Clos-Montholon est nulle part.

Toutes les femmes

Grâce à l’élection
au bureau exécutif du Grand Paris
de 24 conseillers contre 4 conseillères
la plupart des femmes peuvent prendre leur caddie pour aller faire leurs courses au marché
ce serait dommage de priver les hommes
des qualités spécifiques qu’ils ont acquises
à force de garder leur siège.
 
Dans les nouveaux établissements publics territoriaux
présidés par 104 hommes contre 13 femmes
il suffirait d’un petit effort supplémentaire
pour venir à bout des 13 réfractaires
qui n’ont pas le temps de prendre leur caddie pour aller faire les courses au marché.
 
Pourtant, une gestion paritaire des villes et des foyers
encouragerait la rénovation des souterrains
qui, placés sous les gares,
pourraient être empruntés à égalité par des hommes et des femmes
prêts ensemble ou alternativement à aller faire leurs courses au marché.

Les noms de ville

La communauté d’agglomération Sud de Seine vient d’être dissoute
au profit de la Métropole du Grand Paris.
Les limites administratives changent
mais les noms restent.
Le fort de Montrouge est à Arcueil
le fort de Vanves est à Malakoff
et le fort d’Issy est à Issy.
 
Une des dernières villes rouges du 92
et la seule ville conduite par une femme
sur les quatre composant les quartiers de la gare
n’a pas encore eu droit au chapitre
Fort d’Issy-Vanves-Clamart (FIVC)
est le nom provisoire qui apparaît sur tous les documents
il symbolise des pouvoirs
contre lesquels il faut se battre.
Le fort de Montrouge est à Arcueil
le fort de Vanves est à Malakoff
et le fort d’Issy est à Issy.
 
On attend que le comité de pilotage
le syndicat des transports d’Île-de-France
la Société du Grand Paris
et d’autres instances avec acronymes
proposent enfin des appellations
qui représentent toutes les forces en présence
on doit garder à l’esprit
que les trois mousquetaires sont quatre.
Le fort de Montrouge est à Arcueil
le fort de Vanves est à Malakoff
et le fort d’Issy est à Issy.

Des dates / 3

Plusieurs dates ont été fixées
dans la mise en œuvre des travaux du Grand Paris Express
des dates non modifiables
non négociables
des dates qu’on retiendra peut-être dans le futur
comme on a retenu (mais mal) les dates des fusillades entre les versaillais et les communards
sur les forts tout proches de Vanves et d’Issy.

Le talus / 1

Il y a deux sortes de talus, des talus géologiques et des talus historiques, les innés et les acquis, ils proviennent, d’où proviennent les talus ? quelles actions sont à l’origine de leur érection, comment se forment-ils, qui les fait, le vent, la pluie, le ruissellement des eaux, ou les pioches et les pelles qui creusent, ouvrent et remuent la terre ? Il y a deux sortes de talus.

Le talus / 2

La plupart du temps
les talus
la plupart du temps
les talus longent les routes, les voies ferrées et les boulevards
la plupart du temps
ils suivent des allées dessinées, empruntées et entretenues
ils accrochent l’œil des passants qui regardent défiler les manifestants
de la place de la République à la Bastille.
Ce sont des talus de proximité, des talus aménagés aux abords immédiats d’anciennes tranchées
afin d’éviter le transport des matériaux qu’on extrait du sol pour faire du vide avec du plein
c’est si fastidieux de déplacer les restes qu’on a préféré les recycler en petites collines, promontoires et dénivelés
les talus jouxtent les souterrains, les carrières, ils forment des belvédères grâce auxquels observer les précipices qui s’ouvrent à leurs pieds aussi profonds qu’ils sont élevés.
C’est de leur sommet qu’on peut scruter l’avancée des armées ou le mouvement des nuages
à 7 mètres au-dessus du sol
on se sent plus fort et plus seul
on sait qu’on est en haut provisoirement
et qu’il faudra bien à un moment ou un autre
redescendre
puisqu’on n’habite pas sur le talus
mais en contrebas ou sur ses flancs.

Le talus / 3

On imagine des usages détournés du talus
des moyens de lui ôter son imposante stature
de le domestiquer, de l’attendrir, de l’apaiser, de le commercialiser et de le mécaniser
en lui donnant l’aspect d’une gare nouvelle
sur laquelle on posera un toit végétalisé
pour produire ce que les textes appellent
une « liaison en mode doux ».
 
Les camions et bennes de déblaiement annoncent
malgré les nuisances sonores qu’ils génèrent
une ère de quiétude pour nos talus 
le devenir doux des pentes raides
avec des paliers, des escalators, des ascenseurs
destinés à vaincre la forteresse et ses barrières
cette manière de flâner sur toute la hauteur
abolissant les frontières psychologiques, altimétriques, administratives, sociales et linguistiques
qui occultent la plupart du temps
la plupart du temps occultent
la nature pacifique de nos talus.

Le talus / 4

Que fera-t-on en 2022 sur le talus de Malakoff
qui regardera-t-on venir
comment accueillera-t-on ceux que l’on verra arriver ?
Après l’avoir escaladé, dominé et assujetti,
aura-t-on définitivement abandonné les actions et les mots guerriers
remisé les histoires de conquêtes, de retraites, de batailles ?
Sera-t-on prêt en déambulant tranquillement
de haut en bas ou de bas en haut
à changer sans crainte, sans amertume et sans violence
de perspective, d’objectif, de rang et même de condition ?

Le creusement

C’est une gare enterrée, une boîte de 110 mètres sur 30 avec des quais à 30 mètres de profondeur, alors on est obligé de creuser des panneaux de 3 mètres de large sur 1,2 mètres d’épaisseur avec une haveuse, en l’occurrence une HC05. Les panneaux sont remplis d’un liquide d’eau et d’argile, la bentonite, qui a le double avantage de transporter par un système de pompage le sol qui a été désagrégé et de maintenir par pression hydrostatique les terres pour éviter qu’elles ne s’effondrent sur elles-mêmes. C’est la première étape, le forage. Quand le panneau est fait, on commence le ferraillage, deuxième étape, c’est-à-dire qu’on descend au fond du trou des armatures d’acier de fort diamètre, après quoi on peut s’attaquer à la troisième étape. À l’aide d’un entonnoir, on coule le béton dans le trou de sorte qu’à mesure que le béton monte la bentonite est repoussée sur les bords. Et quand ça a fait prise, on n’a plus qu’à préparer un nouveau panneau jusqu’à ce que les 270 mètres de linéaire qui formeront le mur de la gare soient réalisés.
Ce n’est pas naturel de faire tomber du béton d’une hauteur de 40 mètres
d’une part parce que le béton n’est pas un matériau naturel
d’autre part parce que les chutes de 40 mètres de hauteur sont plutôt rares dans la nature.
Et l’un des risques principaux de cette exposition à la gravité, c’est un risque de ségrégation. Les particules lourdes tombent au fond et les particules légères restent à la surface, cela donne une structure hétérogène qui fragilise les panneaux.
C’est pourquoi il faut mesurer par éprouvettes et auscultations soniques interposées la convenance, la résistance, la maniabilité et l’homogénéité du béton. Le violenter, le torturer et le martyriser avant sa chute sont des conditions nécessaires à la réalisation d’une gare sécurisée.
Finalement ce n’est pas si simple de faire un trou et de le remplir.

Des dates / 4

Pour assurer l’enchaînement et l’enchevêtrement des opérations
entre la SNCF, ICADE, Bouygues, GRDF et la SGP
on a créé un pôle de planification
dont le rôle consiste exclusivement
à planifier le calendrier général des travaux
entre 2016 et 2030.
Comme le dit l’un des directeurs du pôle
nous devons faire en sorte que tous les matelas entrent dans les valises.
Alors que le métro de la ligne 15
aurait plutôt pour objectif
de fluidifier nos mouvements pendulaires
cette image bizarre et maladroite
nous devons faire en sorte que tous les matelas entrent dans les valises
laisse présager
une mauvaise imbrication des tâches
des nomadismes d’urgence
des déplacements de foule
des départs improvisés.
Il est assez rare en effet
sauf dans des exodes massifs et mal organisés
de déménager sa literie
à la seule force du poignet
et dans des sacs.

Nous tournerons en rond autour de la ville

Nous tournerons en rond autour de la ville
nous choisirons les tangentes et les transversales au détriment de la ligne droite
nous abandonnerons les voies radiales
nous dessinerons des cercles
plus grands que les boulevards des Maréchaux, les ceintures rouges, les enceintes de Philippe-Auguste ou de Thiers
nous remplacerons les ouvrages défensifs par des tubes grande vitesse et fibre optique.
Plutôt que de nous y engouffrer, de la traverser et de la percer
nous nous tiendrons à distance du cœur battant de la cité
nous apprendrons à l’éviter, à l’ignorer
nous tournerons en rond autour de la ville.
Nous recourrons à des corps augmentés comme sera augmenté le nombre de lignes
le métro sera notre appendice
nous ne trancherons plus à vif par des saignées à ciel ouvert
nous adopterons des méthodes invisibles
tunneliers boucliers et voussoirs
qui révolutionneront notre rapport à l’air libre et nous propulseront automatiquement par 200 km de souterrains dans les quinze années à venir.
Nos pulsations seront rapides
nous tournerons en rond autour de la ville
beaucoup plus vite
beaucoup plus loin
nous serons tous périphériques.

Post-scriptum

Olivia Rosenthal est écrivaine. Ces extraits sont tirés d’une création sonore disponible en ligne : https://soundcloud.com/groupecreati.... Textes et voix de Olivia Rosenthal. Musique et arrangements sonores de Pierre Aviat.