avant-propos

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« Mon père m’embêtait pour que je lise Zola, surtout Germinal, en yiddish. Je lui expliquais que je pouvais très bien le lire en français. Mais lui invariablement répondait : « Tu ne peux pas savoir combien c’est mieux en yiddish. » Il en était intimement persuadé. »
Jacqueline Gluckstein

« Quand les Juifs partent, ils emportent leur idéologie à la semelle de leurs souliers. Les ouvriers bundistes ont emporté un peu du Bund et du désir de yiddishkeit. Ce sont des ouvriers et des artisans juifs bundistes qui, à la fin des années vingt, décident de créer une bibliothèque publique de prêt à Paris. Peu à peu, elle a pris de l’importance et pendant la guerre, elle a bien failli tomber entre les mains de la Gestapo. Tout ce qui paraît aujourd’hui en yiddish arrive à Medem qui est devenue la bibliothèque yiddish européenne de référence. La plupart des autres bibliothèques ont disparu. »
Henri Minczeles

Plus de onze millions de personnes parlent couramment yiddish à la veille de la Seconde Guerre mondiale, surtout en Europe orientale et Amérique du Nord. 60% des 300.000 Juifs installés en France l’utilisent quotidiennement. Parmi les six millions de Juifs anéantis dans la Shoah, une immense majorité est yiddishophone. Après 1945, le yiddish subit de nouveaux coups de grâce. Les purges staliniennes décapitent son intelligentsia. L’avènement de régimes communistes en Europe orientale aboutit à de nouvelles formes d’oppression des survivants de la Shoah. Enfin, l’État israélien fait de l’hébreu sa langue officielle, tandis que les locuteurs du yiddish sont voués aux gémonies.

Langue vernaculaire des Juifs européens au début du siècle, vecteur de l’émancipation du prolétariat juif de l’empire tsariste, le yiddish est aujourd’hui parlé par deux millions de personnes qui appartiennent surtout aux communautés ultra-orthodoxes — en Israël et Amérique anglo-saxonne — et, plus modestement, à de rares foyers laïcs militant pour la renaissance de la culture yiddish à Vilnius, Varsovie, Kiev ou Kichinev. En Europe occidentale, de petites communautés se maintiennent à Bruxelles, Londres, Paris et en Alsace, où le jeddich-daitch, le judéo- alsacien aujourd’hui millénaire, est encore parlé par quelques milliers de personnes.

Notre question n’est pas d’évaluer l’avenir de la langue yiddish, mais de considérer le travail de résistance d’une minorité linguistique pour préserver cet héritage. À Paris, ce travail s’effectue d’abord autour du Centre culturel Vladimir Medem, héritier de la tradition sociale du mouvement bundiste [voir encadré p. 116] et ultime trace d’un yiddishland qui exista dans la première moitié du siècle.