Dammarie-lès-Lys : chronologie 2002-2003

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Mardi 21 mai 2002 peu avant midi, de vifs échanges se font entendre dans un pavillon de Dammarie-lès-Lys, non loin de la barre d’immeuble du Bas-Moulin. Très agité, Xavier Dem, 23 ans, s’est rendu chez son grand-père et s’est emparé de sa carabine à plombs. Les voisins, alertés par les cris, à moins que ce ne soit le grand-père lui-même, appellent le commissariat, qui envoie deux agents. A leur arrivée, l’un d’eux reçoit une décharge de plombs dans le coude. Son collègue fait immédiatement feu et tue Xavier Dem, sur le coup, d’une balle dans la tête. Le soir, plusieurs compagnies de CRS stationnent aux alentours de la ville.

Vers minuit, dans le centre-ville, Zakaria Berrichi et Daniel J. sont interpellés par la Brigade Anti-Criminalité (BAC) de Dammarie-lès-Lys. Porteur d’une maigre quantité de cannabis, Zakaria Berrichi est conduit au commissariat. Venus se renseigner, ses deux frères, Abdelkader et Mohamed, sont pris à partie par les auteurs de l’arrestation. Ceux-ci évoquent la mort de Xavier Dem, le changement de gouvernement, semblent s’arroger un droit de tuer, et les menacent.

Jeudi 23 mai à 9h30, Abdelkader se rend à nouveau au commissariat. On lui annonce que son frère Zakaria est poursuivi pour détention de stupéfiants et qu’il sortira du commissariat vers 11 heures.

Vers 21h15, Mohamed Berrichi quitte le café PMU qui sépare la Plaine-du-Lys et le Bas Moulin, sur son scooter. Il dépose un ami à la résidence Provence de la Plaine-du-Lys et se dirige vers la résidence Justice rendre visite à l’un de ses cousins. Il roule sans casque et est pris en chasse par une Peugeot 406 grise de la BAC de Dammarie-lès-Lys. Mohamed Berrichi passe devant la barre du Bas-Moulin, où réside sa famille, et tente de semer ses poursuivants en empruntant deux rues en sens interdit. Le scooter heurte alors une borne en bordure de la route : Mohamed Berrichi chute et se blesse gravement à la tête. Immédiatement, plusieurs véhicules de secours et de police sont dépêchés sur les lieux. Leur passage alerte les jeunes du quartier, qui gagnent le lieu de l’accident. Parmi eux, Abdelkader Berrichi, qui tente d’atteindre son frère mais en est empêché. La configuration des lieux et des conversations avec des témoins leur donnent à penser que le corps a été déplacé avant d’être emmené à l’hôpital de Melun et qu’une Ford Mondéo bleu nuit a surgi par une rue latérale à hauteur du scooter, provoquant, peut-être en le touchant, le déséquilibre fatal de Mohamed Berrichi.

Mohamed Berrichi décède à l’hôpital vers 22h45. Vers minuit, une délégation se rend au commis-sariat et exige de voir la Ford Mondéo impliquée dans l’accident, afin de vérifier les marques laissées par un éventuel « pare-chocage ». Après une heure de tergiversation, on leur montre deux Peugeot 406, puis une Ford Mondéo intacte.

Vendredi 24 mai le parquet de Melun publie un communiqué de presse : « Le conducteur du scooter s’est trouvé déséquilibré en raison de sa vitesse excessive et a heurté une borne en béton ainsi qu’un trottoir. Le conducteur a chuté et sa tête a heurté le sol. La vitesse importante du scooter est attestée par une glissade de l’engin, sur la chaussée, sur une trentaine de mètres environ à la suite de l’accident et par un témoin (...). Une enquête a immédiatement été confiée par le Parquet à la Sûreté départementale de Seine-et-Marne. Les premières investigations entreprises permettent d’établir qu’à aucun moment les policiers n’ont fait usage de leur arme de service ni heurté le scooter avec leur véhicule. Le Parquet a ordonné une autopsie ». Le Parquet évoque les causes possibles d’une telle vitesse et tente de les expliquer par le casier judiciaire de Mohamed Berrichi : « On peut s’interroger sur les raisons qui ont poussé BERRICHI Mohamed à se soustraire au contrôle de la Police. L’intéressé, multi-récidiviste, se savait recherché pour exécuter deux peines d’emprisonnement, l’une de quatre mois et l’autre de trois mois, prononcées par le tribunal correctionnel de Melun pour usage, détention et transport de stupéfiants. Par ailleurs, il a été retrouvé porteur de barrettes de résine de cannabis ».

En fin d’après-midi, un rassemblement d’une centaine de personnes se forme sur la place du 8 mai 1945, au coeur de la Plaine-du-Lys, devant le centre culturel Albert-Schweitzer qui fut l’une des cibles privilégiées des émeutes de décembre 1997. Le personnel politique est rare : seul Jean-Marc Brûlé, candidat des Verts aux élections législatives, est présent. Des militants du MIB (Mouvement de l’Immigration et des Banlieues), et des représentants des associations locales des cités nord de Melun (notamment H2B, association de l’ancien quartier de Melun Nord, Honoré de Balzac, détruit au début des années 90), et de Dammarie (dont Bouge qui Bouge, que préside Abdelkader Berrichi) et des Jeunes musulmans de Melun coordonnent le rassemblement, qui s’ébranle vers la mairie, puis vers le lieu du décès. Au retour, plusieurs cars de CRS empêchent l’accès à la place du 8 mai 1945. Une délégation improvisée met en avant les risques d’escalade que fait encourir leur présence. Après une demi-heure de négociation, les policiers reculent.

Durant la soirée, des membres de la famille Berrichi, leurs amis, les militants associatifs locaux et ceux du MIB se réunissent. Ils fondent le Comité de soutien à la famille Berrichi. Le recours à l’action violente est banni. Une manifestation est prévue le lundi 27 mai à Melun, où siègent la préfecture et le tribunal de grande instance. Dans un tract intitulé « La BAC tue encore, la justice couvre toujours », le Comité de soutien, Bouge qui Bouge, H2B, ADM (Association Dammarie-lès-Lys/ Melun) et le MIB refusent la version du Parquet, s’indignent de la présentation diffamante de la personnalité de Mohamed. Ils établissent une continuité directe avec les décès de « Abdelkader Bouziane à Dammarie-lès-Lys (1997), Youssef Khaïf à Mantes-la-Jolie (1991), Aïssa Ichich mort dans un commis-sariat (1991), Ryad Hamlaoui à Lille (2000), Habib à Toulouse (1998)... ». Ils rappellent que Mohamed Berrichi était « un militant anti-bavures », et évoquent d’autres témoins délaissés par les enquêteurs. Le tract conclut ainsi : « La paix ne peut se concevoir dans l’injustice. Justice et vérité ! Vérité et justice ! ». Durant la réunion, à trois reprises, des participants sont envoyés devant les ruines de l’Abbaye et au pied de la barre du Bas-Moulin, pour s’opposer à des habitants de la cité qui y confectionnent des cocktails molotov en prévision des affrontements à venir.

Samedi 25 mai distribution des tracts à Dammarie-lès-Lys et à Melun. Plusieurs militants sont interpellés, des tracts sont saisis, « afin de savoir ce qu’il y a écrit dessus » (déclaration de la police locale au Parisien 77, 27 mai 2002, voir 21/10/02). Vers 17 heures, le Comité de soutien, accompagné d’une centaine de personnes, se rend au commissariat pour faire consigner en main courante les pressions subies lors de la distribution. Quelques heures plus tard, des CRS et des membres de la BAC se déploient devant la barre du Bas-Moulin, où réside la famille Berrichi.

Dimanche 26 mai des militants se rendent à la Bourse du travail de Saint-Denis où se tient le « Forum de résistance contre la fabrique de la haine et contre les dispositifs sécuritaires ». Sur le trajet, des compagnies de CRS en état de veille. Samir Baaloudj, un des orateurs de la manifestation, s’adresse à un policier garé au rond-point. Une procédure d’outrage est dressée à son encontre (voir 10/6/02).

Lundi 27 mai à 18 heures, la manifestation rassemble de 500 à 800 personnes sur la place du 8 mai 1945. Un service d’ordre de 70 personnes veille à empêcher tout débordement et interdit aux journalistes d’interviewer quiconque en dehors des trois portes-parole désignés, sous peine de confiscation de leur matériel. Le cortège gagne le Tribunal de Grande Instance de Melun, gardé par une dizaine de policiers. A 20 heures, la procession marque un nouvel arrêt devant le commissariat de Dammarie-lès-Lys. Le service d’ordre se déploie entre la foule et les policiers en faction. Le cortège se disperse ensuite. « A 22 heures, la police ne notait aucun incident » (Le Parisien 77, 28 mai).

Dans la nuit, sur la façade de la barre du Bas-Moulin, dont une partie, promise à la démolition, est inoccupée, les banderoles de la manifestation sont accrochées et des inscriptions taggées, qui rappellent la mémoire des trois défunts Abdelkader, Xavier et Mohamed, et dénoncent les pratiques policières.

Mardi 28 mai des représentants religieux (notamment un représentant du recteur de la mosquée de Paris et le recteur de la mosquée d’Evry) se rendent au pied de la barre du Bas-Moulin, pour y porter leurs condoléances ainsi que celles de la mairie et du préfet. Le père de Mohamed Berrichi se porte à leur rencontre. Un militant du MIB, qui l’accompagne, s’indigne : le deuil reste affaire familiale et privée, la mobilisation est politique et non religieuse. Il rappelle à la délégation que le maire et le préfet n’ont pas sollicité les autorités catholiques auprès de la famille de Xavier Dem. Avec l’accord de Monsieur Berrichi, les représentants sont éconduits. Joint par l’AFP, le recteur de la mosquée d’Evry, Khalil Merroun, déclarera que « la famille est prise en otage par des gens qui refusent le dialogue ».

Mercredi 29 mai le Comité de soutien se rend à Paris, au ministère de la Justice ; un détachement de CRS lui en interdit l’accès.

L’APAM, association de prévention de l’agglomération de Melun qui dépend du Conseil général, signifie à deux de ses employés, Benamara Zeghadi et Slimane Bouklouche, leur mise à pied provisoire sans rémunération pour avoir pris part, sur leur temps personnel, à la manifestation du 27. Le premier démissionne, le deuxième engage une procédure devant les prud’hommes.

Jeudi 30 mai réception des parents Berrichi et de leur avocat par le vice-procureur du Tribunal de Melun. Vers 1h30 du matin, un engin explosif artisanal est projeté au rez-de-chaussée de la mairie dans une salle des archives. La bombe ne provoque que quelques dégâts matériels. L’acte n’est pas revendiqué.

Vendredi 31 mai Jean-Claude Mignon, maire (UMP) de Dammarie-lès-Lys, convoque une conférence de presse avec le procureur, le préfet et le directeur de la police, « dans la mesure où le climat se dégrade à la suite d’interprétations erronées et de certains comportements inacceptables de certains individus ». Selon lui, il est « évident » que l’attentat est lié à la mort de Mohamed Berrichi. Le procureur de Melun précise que celle-ci a bien été accidentelle : « à aucun moment les policiers n’ont fait usage de leur arme et le véhicule de police n’a pas percuté le scooter ». Il clarifie les axes de sa politique pénale sur Dammarie-lès-Lys : « instruction à la police, d’une part, de poursuivre une enquête fouillée sur les causes du décès, et d’autre part de mener des procédures systématiques contre les troubles de l’ordre public ». Le préfet rend quant à lui hommage « à la maîtrise et au professionnalisme de la police soumise depuis plusieurs jours à de multiples provocations » et souligne qu’il est « inacceptable qu’un petit groupe de personnes s’arrogent le droit de vouloir faire la loi par la peur et tentent de soumettre la population d’un quartier à des pressions fortes, avec visiblement l’intention d’y conquérir un territoire pour y établir un trafic ». Il annonce la mise en place d’un Groupe d’Intervention Régional avant la fin de la semaine suivante.

Abdelkader Berrichi annonce son intention « d’obtenir un rendez-vous avec Nicolas Sarkozy, afin d’évoquer les problèmes de violence policière » (Le Parisien 77, 31 mai).

Plus tard, interpellé au cours d’une réunion électorale par Abdelkader Berrichi et Mourad Salah, de l’Association des jeunes musulmans de Melun, Jean-Claude Mignon rétorque « On vous connaît bien, Monsieur Berrichi. On sait qui vous êtes, on sait ce que vous faites ».

Lundi 3 juin enterrement de Xavier Dem. Il se déroule « conformément à son style de vie, selon le rite rasta » (tract d’invitation à la cérémonie). L’oraison funèbre, tenue par un membre de la famille Dem, est consacrée aux difficultés sociales et personnelles du défunt et à son traitement outrageant par la presse et le Parquet de Melun.

Vers 21 heures, une délégation du Comité de soutien tente d’assister à la réunion publique tenue par Jean-Claude Mignon à la mairie. Elle en est empêchée par les forces de l’ordre. Elle distribue des tracts et un appel à témoins.

Mercredi 5 juin obsèques de Mohamed Berrichi à Oujda, au Nord-Est du Maroc. Dans le même temps, environ 150 personnes forment un cortège depuis le Bas-Moulin jusqu’au lieu du décès de Mohamed. Une gerbe de fleurs est déposée, une minute de silence est observée.

Lundi 10 juin Samir Baaloudj, militant du MIB et de Bouge qui Bouge, est placé en garde à vue durant sept heures, au commissariat de Dammarie-lès-Lys, dans le cadre de la procédure pour outrage dressée contre lui le 26 mai (voir 8/1/03).

Mercredi 12 juin un barbecue est prévu le jour de l’anniversaire de Mohamed, dans le parc de l’Abbaye, derrière la barre du Bas-Moulin. Par arrêté municipal, considérant qu’aucune demande préalable n’a été adressée à l’autorité locale, considérant la « nécessité de garantir la tranquillité, la sécurité des personnes et des biens », et « en raison des circonstances locales liées au climat de tension et d’insécurité constaté depuis trois semaines sur la ville de Dammarie-lès-Lys », le maire interdit « l’occupation illicite du parc public » et « demande à M. le Préfet de faire respecter l’ordre public ». 200 policiers se déploient dans le Parc et autour de la barre.

Jeudi 13 juin le Syndicat national des policiers en tenue (SNPT) demande par communiqué le nettoyage de la façade du Bas-Moulin ainsi que la suppression des banderoles, qui constitueraient des « appels à la haine anti-flics ». En outre, « afin de montrer [sa] détermination et [son] union pour la défense du métier », le syndicat appelle à une manifestation le 2 juillet devant la préfecture de Seine-et-Marne. Le préfet s’y déclare hostile mais précise que la façade sera nettoyée prochainement.

Samedi 15 juin la fête annuelle des quartiers Nord de Melun est dédiée à la mémoire des victimes de violences policières. Des associations locales et le MIB y participent. L’association des Jeunes musulmans de Melun organise une exposition sur la Palestine.

Mardi 18 juin réunion publique à l’occasion de la commémoration de l’appel du général de Gaulle. L’ancien commissaire de Dammarie-lès-Lys, M. Florenz, prend un verre avec Jean-Claude Mignon et des lieutenants de police du commissariat. Des membres du Comité de soutien s’en étonnent et prennent des photos.

Jeudi 20 juin Abdelkader Berrichi se rend en voiture à Paris voir son avocat. Une fois sa voiture garée, il est interpellé par des policiers en civil et conduit au commissariat du Vème arrondissement. Il en ressort poursuivi pour outrage. Objet : le tract « La BAC tue encore, la justice couvre », affiché sur la vitre arrière de son véhicule (voir 20/9/02).

Samedi 22 juin l’association Bouge qui Bouge tient, sans autorisation, un stand d’information à la fête annuelle de la municipalité donnée au parc de l’Abbaye. Du matériel sono appartenant à la mairie est volé.

Dans la nuit, le centre Albert-Schweitzer est
attaqué à la voiture-bélier. Un début d’incendie se déclare. Les dégâts sont évalués à environ 100000 euros. Jean-Claude Mignon dénonce « des représentants des associations Bouge qui Bouge et du Mouvement Immigration-Banlieue [qui] ont perturbé la fête de la Plaine-du-Lys durant laquelle du matériel de sonorisation a été volé ». Il ajoute : « je veux bien parler de coïncidences, mais là, ça fait beaucoup » (Le Parisien 77, 24 juin).

Lundi 24 juin vers 6 heures du matin, 200 policiers encerclent la barre du Bas-Moulin (CRS, officiers de police judiciaire et tireurs d’élite du RAID, postés sur le toit du supermarché, en face). Ils procèdent à trois opérations. Un gigantesque ravalement de la façade, d’abord, le premier depuis son édification : les banderoles sont retirées, les tags nettoyés. Un vaste contrôle d’identité des résidents de la barre, ensuite (la famille Berrichi en est exempte) : deux étrangers en situation irrégulière sont interpellés ; la police rassemble 385 g. de haschisch. Enfin, la fouille sans ménagement du local de Bouge qui Bouge : cet ancien local à vélos est mis à sac.

Dès midi, des militants (d’Act Up-Paris, rejoints par des membres du MIB, puis par Jean-Marc Brulé) se rendent à Dammarie-lès-Lys. Réunions impromptues au bar PMU, sur les parkings du supermarché, ou au pied de la barre ; la presse est prévenue, les avocats sont alertés.

Vers 13h30, des CRS chargent un attroupement à proximité de la barre. Trois personnes, dont un mineur, sont interpellées pour outrage et rébellion. Vers 17h00, l’office départemental des HLM (OPHLM), dirigé par le maire UDF de La Rochette, commune voisine de Dammarie-lès-Lys, signifie à Bouge qui Bouge l’expulsion de son local, au motif que l’association a « depuis quelques temps adopté une attitude incompatible avec son objet et ses obligations ». De plus, « sous le couvert [de l’association], ses membres ou d’autres personnes ont maculé les murs de nombreux tags offensant sur les parties communes et y ont accroché des banderoles ». Abdelkader Berrichi s’oppose à cette expulsion par référé (voir 28/6/02).

Mardi 25 juin avec l’aide logistique du MIB, une grande tente est dressée au pied de la barre, devant le local vide. Elle abrite le matériel de l’association (photocopieuse, ordinateur, tables et chaises, machine à café). Le matériel éducatif est stocké dans les parties communes de l’immeuble.

Dans les jours qui suivent, nombreux communiqués en soutien à Bouge qui Bouge, émanant des réseaux militants (notamment SUD, SUD-Education, Act Up-Paris, DAL, MRAP, LDH, Résistons ensemble, la LCR, les Verts).

Mercredi 26 juin l’opposition municipale manifeste son mécontentement face au « déploiement excessif des forces de police », qui « n’est pas la réponse appropriée au malaise engendré par le décès de deux jeunes ».

Jeudi 27 juin dans un communiqué de presse, Jean-Claude Mignon qualifie les militants associatifs de « petits terroristes de quartier », « petits groupes d’individus encadrés par le MIB, les associations Bouge qui Bouge et Dammarie-lès-Lys/Melun », dont le but est de « faire échec à toutes les actions des institutions et de la police afin de continuer leurs méfaits en toute impunité ». Il leur impute publiquement le vol de matériel lors de la fête de l’Abbaye et l’attentat à la voiture-bélier, et déclare que « les locataires de la rue du Bas-Moulin sont pris en otages par des individus en rébellion contre la République et la France ».

Abdelkader Berrichi, au nom de Bouge qui Bouge, engage les démarches en vue d’une plainte contre Jean-Claude Mignon pour diffamation. Il est par ailleurs convoqué au commissariat de Dammarie-lès-Lys et interrogé sur la cérémonie du 18 juin : les policiers reprochent aux jeunes présents d’avoir proféré « on les aura ».

Le fils de l’une des résidentes du Bas-Moulin, Me Abdelrak Lasmari, avocat à Paris, demande par courrier au ministère de l’Intérieur et au procureur des explications quant à l’intervention policière du 24 .

Vendredi 28 juin le Tribunal de Grande Instance de Melun, estimant que Bouge qui Bouge a « laissé se développer une campagne de dénigrement contre la police », déboute l’association et l’enjoint à quitter définitivement le local, sous peine d’amende et d’astreinte journalière. L’association fait appel. Elle s’indigne de « ne plus être en capacité de s’associer, se rencontrer pour débattre de la vie de la cité » et annonce une grève de la faim (voir 18/7/02).

Samedi 29 juin estimant les conditions médicales insuffisantes, les cinq grévistes de la faim suspendent leur action.

Lundi 1er juillet un huissier, accompagné de policiers, mure les accès et fenêtres du local. Les membres de l’association sont invités à récupérer ses biens. Abdelkader Berrichi est brutalement empêché d’y entrer par un policier en faction. Il proteste et insulte un policier : nouvelle procédure pour outrage (voir 8/11/02).

L’association annonce une réunion publique le 6 juillet devant le centre Albert-Schweitzer pour la clôture du deuil de Mohamed Berrichi.

Mercredi 3 juillet au conseil municipal, François Lémery, qui dirige l’opposition municipale, lit une lettre de Bouge qui Bouge au maire [cf. page 31]. Celui-ci refuse toute légitimité à l’association et décline les sollicitations de l’équipe de « 90 minutes » (Canal+), présente à Dammarie-lès-Lys depuis deux semaines déjà.

Jeudi 4 juillet le maire interdit par arrêté municipal la réunion publique du 6 juillet, au motif d’absence de déclaration préalable et en raison du « climat d’insécurité et de tension qui règne dans la ville depuis plus d’un mois ».

Vendredi 5 juillet Abdelkader Berrichi se rend au commissariat de Dammarie-lès-Lys, dans le cadre de la procédure d’outrage du 1er juillet. Il est mis en garde à vue. Un attroupement se forme aux abords du bâtiment. L’équipe de Canal+ est rejointe par des journalistes de France Bleue et du Parisien.

Un recours pour excès de pouvoir et un référé-liberté visant l’annulation de l’arrêté du maire sont déposés au Tribunal administratif de Melun par Maître Nicole Prévost-Bobillot.

Depuis la tente, des discussions téléphoniques s’engagent entre Samir Baaloudj et la préfecture : Bouge qui Bouge exige que la fête se tienne dans un lieu digne (et non pas au vieux stade Auguste Delaune, concédé par la mairie « dans un souci d’apaisement ») et la libération d’Abdelkader Berrichi [cf. page 28]. Ce dernier est libéré en début de soirée.

Samedi 6 juillet la place du 8 mai 1945 est encerclée par des fourgons CRS, les accès à la mairie et à la place du marché sont bloqués. Bouge qui Bouge décide que la manifestation se tiendra néanmoins, au pied de la barre du Bas-Moulin. L’après-midi, une assemblée de 150 personnes, venues du quartier et du milieu associatif local ou parisien, écoute la prière clôturant le deuil de Mohamed Berrichi, puis les interventions d’une vingtaine d’organisations. Le représentant de Lutte Ouvrière, lisant une communication de son parti, est interrompu par les organisateurs. A 18h00, l’assemblée se rend sur le lieu du décès de Mohamed Berrichi pour s’y recueillir, sous les yeux des CRS, silencieux. La journée s’achève par le partage d’un couscous, conformément à la tradition musulmane, qui veut qu’à la clôture du deuil un repas soit offert par la famille à tous ceux qui ont partagé sa peine.

Mardi 9 juillet Me Prévost-Bobillot organise une réunion publique qui rassemble une soixantaine de personnes, visant la mise en place d’un observatoire local des pratiques policières et judiciaires. L’OPHLM somme Bouge qui Bouge de démonter la tente sous 48 heures.

Mercredi 10 juillet au matin, à l’invitation du MIB, de Bouge qui Bouge et du Comité de soutien, conférence de presse de la Ligue des Droits de l’Homme, du MRAP, du Syndicat des Avocats de France et du Syndicat de la Magistrature sous la tente, à l’occasion d’un rapport commun sur les violences policières.

Le soir, dans une émission politique sur France 2, Nicolas Sarkozy déclare que les « forces de l’ordre doivent reconquérir le terrain qui a été abandonné. Prenons un exemple. Il y a une cité, à Dammarie-lès-Lys, où la police et la gendarmerie n’avaient plus le droit de cité, justement. On y avait peur depuis des années. Le GIR de Seine-et-Marne y a été, il y a quelques jours. Ça a été décevant sur le plan pénal. Mais pour ceux qui y habitent, et l’immense majorité sont des gens honnêtes qui ne demandent qu’une seule chose, c’est vivre tranquillement. Tout d’un coup ils se sont dits, on n’est plus abandonnés ».

Mardi 16 juillet à l’Assemblée Nationale, début des débats relatifs à la loi d’orientation et de programmation sur la sécurité intérieure. Noël Mamère défend une exception d’irrecevabilité (qui sera rejetée) en s’appuyant sur les événements de Dammarie-lès-Lys. Il rappelle qu’« une association de jeunes, qui s’appelle Bouge qui Bouge, vient d’être expulsée de ses locaux » et que « les jeunes bénévoles de cette association sont traités comme de véritables terroristes de quartier, parce que celle-ci exige une action soutenue... ». Ce à quoi Jean-Claude Mignon répond « N’importe quoi ! Cela suffit ! (...) Vous êtes mal placé pour parler de Dammarie-lès-Lys ! Vous dites n’importe quoi ! ».

Jeudi 18 juillet la cour d’appel de Paris donne raison à l’association, constatant « qu’aucun élément probant n’établit, en l’état, que les dégradations dans les parties communes de l’immeuble soient le fait de l’association Bouge qui Bouge », et que rien ne vient caractériser un « trouble manifestement illicite à la jouissance paisible à laquelle Bouge qui Bouge était tenue dans le cadre de la convention de location » conclue avec l’OPHLM (la décision sur le fond sera rendue le 7/1/03).

Bouge qui Bouge porte plainte contre X pour incitation à la destruction grave de biens appartenant à autrui. Elle a en effet reçu un mystérieux courrier à en-tête de la préfecture de Seine-et-Marne qui l’informe de l’ouverture prochaine d’un poste de police dans la Plaine-du-Lys et l’incite à s’y opposer par la force. La préfecture affirme par voie de presse qu’il s’agit d’un faux et déclare « prendre l’affaire très au sérieux ».

Lundi 22 juillet Abdelkader Berrichi comparaît devant la 13ème chambre correctionnelle de Paris dans le cadre de la procédure d’outrage du 20 juin. Me Mairat décide la citation de témoins, procédure inhabituelle pour ce type d’affaires, et obtient le report du procès (voir 20/9/02).

Mercredi 24 juillet Me Prévost-Bobillot reçoit confirmation des fondements légaux de l’opération du 24 juin. La perquisition effectuée au local de Bouge qui Bouge répondait à la plainte de Jean-Claude Mignon, pour vols de matériels, le 22 juin, et à celle d’une journaliste, également pour vol. Les contrôles d’identité, en revanche, étaient diligentés par le procureur de Melun, dans le cadre du nouvel article 78-2-2 du Code de procédure pénale, introduit par la « loi de sécurité quotidienne » du 15 novembre 2001.

Jeudi 25 juillet l’OPHLM, qui dit ne pas avoir reçu l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 18 juillet, refuse de remettre les clefs du local à l’huissier mandaté par Bouge qui Bouge. Celui-ci obtient néanmoins gain de cause : le local devra être restitué le 29 juillet.

Samedi 27 juillet vers 10 heures, le local est incendié. Bouge qui Bouge porte plainte contre X pour dégradation et incendie volontaires. La police judiciaire confirme qu’il s’agit d’un incendie volontaire.

Lundi 29 juillet le local entièrement calciné est remis à l’association. L’OPHLM porte plainte contre X pour dégradation grave.

Mercredi 31 juillet Bouge qui Bouge porte plainte contre X pour dégradations et incendie volontaires. La police judiciaire confirme qu’il s’agit bien d’un incendie volontaire.

Jeudi 5 septembre S. Bouklouche passe devant les prud’hommes en référé. Son défenseur Me Lasmari et lui refusent la transaction amiable et veulent que l’affaire soit examinée au fond.

Lundi 16 septembre dépôt de la plainte de Bouge qui Bouge en diffamation contre Jean-Claude. Mignon. Le juge doit fixer le montant de la consignation de la partie civile Bouge qui Bouge.

Vendredi 20 septembre audience à la 13e chambre correctionnelle de Paris d’Abdelkader Berrichi pour l’outrage relevé par les policiers de la BAC du Vè arrondissement de Paris à propos du tract apposé sur la vitre arrière de son véhicule lors d’une visite à Paris. La procureur requiert une amende de 750 euros, la défense des policiers 350 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral. Délibéré rendu le 4 octobre.

Salim L., 17 ans, l’un des trois protagonistes des échauffourées du 24 juin, comparaît devant le délégué du procureur, qui classe le dossier sans suite.

Durant le mois de septembre incidents répétés de jeunes à mobylette dans La Plaine du Lys (tapage répété, altercations diverses).

Vendredi 4 octobre délibéré de l’audience du 20 septembre : condamnation d’Abdelkader Berrichi à une amende de 700 euros et à 1 euro symbolique à chacun des trois policiers. Appel sera interjeté par la défense.

Mardi 8 octobre audience de l’affaire Bonnefille devant le TGI Melun : Arnaud Bonnefille est un policier de Dammarie, accusé d’avoir frappé en 1996 Adil Basraoui, coups qui lui ont cassé quatre dents. Peine requise par le procureur contre le policier, mais seulement « de principe » car Adil Basraoui aurait fait preuve de « provocation » à l’encontre des policiers (délibéré rendu le 21 octobre).

Lundi 21 octobre Abdelkader Berrichi et Tarek (MIB) convoqués devant le SRPJ de Versailles suite à la plainte déposée par Nicolas Sarkozy dans le cadre du tract « La BAC tue encore » (voir 23 janvier 2003).

Délibéré TGI Melun, affaire Bonneville, condamné, pour violences aggravées suivies d’une incapacité temporaire de travail n’excédant pas huit jours, à un mois d’emprisonnement avec sursis (voir 8/10/02). « Cette faute, consistant à frapper avec une arme, la tête d’un jeune citoyen souhaitant le dialogue, méritait une sanction exemplaire. Il convient cependant, compte-tenu des réquisitions modérées du Parquet, de l’ancienneté des faits datant de près de six ans, de la faible expérience professionnelle de M. Bonnefille à l’époque tout jeune gardien de la paix, de l’absence au sein de la patrouille d’un agent expérimenté jouant le rôle de modérateur chargé d’encadrer les plus jeunes éléments, de prononcer une sanction symbolique d’un mois d’emprisonnement avec sursis ». Sur la constitution de partie civile : condamnation de Bonnefille à verser 412 euros au dentiste (mise en oeuvre d’une expertise judiciaire par chirugien-dentiste avec mission habituelle consistant à établir le montant exact des préjudices physiques subis par A. Basraoui), condamnation de M. Bonnefille à 2000 euros de provision sur les dommages et intérêts à venir, et à 3000 euros au bénéfice de la partie civile pour remboursement des frais induits par la procédure judiciaire.

Mardi 29 octobre affaire Bonnefille : appel de Bonnefille et appel du ministère public.

Mercredi 6 novembre audience de Faudil Ziani (défendu par Me Lasmari) pour faits remontant au match France-Algérie (septembre 2001) : revenant du match, il aurait insulté et menacé de mort, invoquant les attentats de New-York, cinq ou six policiers en tenue. Le procureur requiert trois mois d’emprisonnement ferme. Juge condamne à 40 jours-amende de 7,5 euros (total. = 300 euros).

Vendredi 8 novembre audience d’Abdelkader Berrichi pour l’outrage du 1er juillet. Les huit policiers (absents) reçoivent chacun 15 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral que leur reconnaît le tribunal ; Abdelkader Berrichi est condamné à 700 euros.

Mardi 3 décembre audience au Tribunal d’instance visant la procédure de fond d’expulsion de Bouge qui Bouge du local.

Mardi 17 décembre Me Lasmari défend en appel à la 10e Chambre de la Cour d’Appel de Paris un résident de la Plaine du Lys condamné devant le Tribunal de Grande Instance de Melun à un an ferme pour outrage et menaces de mort. L’avocat général requiert un ajournement de peine.

Cérémonie publique de commémoration de la mort d’Abdelkader Bouziane, assistance d’environ 200 personnes, dont des associations et des syndicats (MRAP, SUD-Education, SUD-Postes, Act-Up, Résistons...).

Mardi 7 janvier 2003 délibéré du Tribunal d’instance sur l’expulsion : déboute l’OPHLM de l’intégralité de ses demandes, condamne l’OPHLM à verser 1000 euros à Bouge qui Bouge au titre des frais judiciaires.

Par décision du 7 janvier 2003, le Tribunal d’instance de Melun a débouté, dans l’affaire qui l’opposait à l’association Bouge qui Bouge de Dammarie-lès-Lys, l’OPHLM de Seine et Marne de l’intégralité de sa demande, ainsi qu’à payer à l’association Bouge qui Bouge la somme de 1000 euros au titre de l’art. 700 du Code de Procédure Pénale et le condamne aux dépens. Le tribunal estime entre autres motifs que l’OPHLM n’a pas apporté la preuve que les tags et banderoles sont le fait de l’association, que les propos tenus par Abdelkader Berrichi au cours de l’émission « 90 mn » de Canal+ révèlent certes une attitude militante mais sont insuffisants à constituer la preuve que l’association a rédigé elle-même les écrits incriminés, qu’il ressort du reportage de Canal+ et des articles de presse que des dégradations sont survenues à la suite de l’intervention de la police le 24 juin 2002 et que le reportage démontre que les locaux étaient en très bon état le 27 juin 2002 à l’exception des dégradations consécutives à l’intervention policière, et que de ce fait la responsabilité de Bouge qui Bouge dans les dégradations alléguées n’est pas avérée.

Mercredi 8 janvier 2003 audience de Samir Baaloudj au TGI de Melun pour trois outrages relevés chacun dans les jours qui suivirent la mort de Mohamed Berrichi (cf. entre autres 26 mai). L’avocate Me Prévost-Bobillot constate que le juge unique de l’audience était à l’époque des faits procureur chargé de la direction de l’enquête, et constate de surcroît des incohérences majeures dans les procès-verbaux policiers de constat d’infraction. Elle demande que l’affaire soit reportée.

L’ensemble des affaires est reporté au 12 février.

Mardi 28 janvier délibéré CA Paris (outrage défendu par Me Lasmari).

Mercredi 12 février audience des trois outrages de Samir Baaloudj initialement audiencés le 8 janvier 2003.