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Cher François, Cher Alain, Chère Marine Paroles en campagne, une chronique en épisodes de la Présidentielle 2017 / Premier épisode

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Résumé du premier épisode

La course électorale n’est pas un diner de gala. Elle ne devait pas être non plus l’occasion de tenir des conversations de bonne tenue entre « Cher François » et « Cher Alain ». Et pourtant, au cours de ces primaires de la Droite, la tribune a disparu, ensevelie sous une querelle de styles entre gens très bien qui a occulté les formes de la discussion politique. Heureusement, « Chère Marine », est là. Dénuée de style, « Chère Marine », le guette plutôt, embusquée comme elle est, de l’autre côté du salon de la bonne parole et de la bonne tenue occupé par « Cher François ». L’embuscade de « Chère Marine », c’est peut-être alors l’occasion d’une mise en crise salutaire de la conversation stylée entre « Cher François » et « Cher Alain » ? Hélas ! Symptôme d’une tribune véhémente et diffamatoire, « Ali Juppé » est aussi là, qui grimace avec « Chère Marine », lui qui est sa créature, et l’entraine, avant même qu’elle déboule dans le salon, du côté obscur de la force tribunicienne à l’œuvre sur les réseaux sociaux. Entre le style et la calomnie s’ouvre en fanfare, la campagne présidentielle. Fin.

Scène 1 - Le débat de bonne tenue

La situation inédite dans laquelle nous nous trouvons au cours de cette campagne présidentielle initiée à tambours battants dès les primaires à droite engage une redéfinition de la tribune politique pour le moins déconcertante. Désormais, ceux qui s’affrontent à l’écran en vue de défendre le bon gouvernement sont tous les deux du même camp politique, et sont assez proches pour s’appeler « Cher François » et « Cher Alain », et même, ils se tutoient. Ils ont le même passé, se sont laissés entrainés malgré eux à la même manif de 68, ou tout comme, et avec le même slogan d’excuse ( « J’y étais sans y être » + « J’étais jeune ») ils ont voté, l’un contre la dépénalisation de l’homosexualité en 1981 et l’autre, pardon, l’un et l’autre, contre le Pacs en 1999, et ont marché derrière la même bannière de l’école libre. Ils se sont aussi entrembauchés dans des gouvernements et sans doute travailleront-ils ensemble, ou par personnels politiques interposés, quelque que soit le résultat du scrutin du second tour des primaires. C’est pourquoi ils veillent à ne pas s’écorcher trop en cas de défaite pour ne pas être éjecté de l’échiquier et être dans l’obligation de renoncer à la miette de pouvoir qui restera à ramasser. C’est normal, vous direz, qu’ils aient le même passé et qu’ils défendent la même idéologie en matière de mariage, ils sont du même camp. C’est vrai. La conséquence la plus visible de cet entre-soi, c’est que nous assistons, comme le dit François Fillon, à un « débat de bonne tenue ». Comment le déplorer ? Seulement voilà, la situation dans laquelle se trouve la famille concurrente qui est la Gauche est si difficile que tout le monde a bien compris que, désormais, les primaires de la Droite, c’est déjà le premier acte de la campagne présidentielle tout court, pire, que dans ce premier acte, se joue peut-être, déjà, toute la campagne et même le résultat définitif des élections. Et c’est pourquoi, soudainement, ce « débat de bonne tenue » ce nouvel avatar de la tribune politique française, pose question.

Scène 2 - Le choix du style

La joute oratoire, en apparence, a disparu. Cependant, comme les différences en matière de programme de gouvernement ne sont pas éclatantes, elle ne cède pas non plus la place à la discussion mais plutôt à ce qui n’a pas d’autre nom que celui de conversation. Deux anciens collaborateurs, deux membres du même parti politique ont conversé un jeudi soir devant 8,5 millions de spectateurs et, de la conduite, par l’un ou par l’autre, de cette conversation va sans doute dépendre l’identité du futur président de la République. Certes, la conversation a été aigre-douce, mais cependant on ne peut plus véritablement parler de débat politique ou alors il faut réduire le politique à sa conception archaïque de conquête de pouvoir et non de défense argumentée du bon gouvernement, car sur quels objets s’affronter quand on défend les mêmes ? Ce ne sont pas des querelles fantasmatiques de chiffres, 250 000 ou 500 000 fonctionnaires à supprimer, ou du tempo annoncé de la gouvernance à l’issue des élections, déclic de confiance ou pas, qui peuvent faire l’objet d’un dissensus fondamental digne de s’ériger en criterium de distinction entre deux candidats à la Présidentielles : tout cela, ce sont plutôt des modulations, des écarts — excès ou retrait, c’est selon — davantage que des sujets de discorde possiblement transfigurés en combat politique fondé sur l’affrontement argumenté des idées et des voix.

En face, donc, les spectateurs ont pu écouter deux convives d’une eau un peu spéciale, deux convives converser et qui, conversant, font semblant de ne pas combattre pour le même objet avec les mêmes idées et les mêmes ambitions. Deux candidats, donc, qui habitent les mêmes lieux dans la langue en s’appuyant sur les mêmes arguments, l’un d’entre eux étant le désir de redonner sa dignité à la fonction présidentielle : difficile ne pas scruter là le dévoiement d’une course électorale désormais déjà presque ouvertement affichée comme conquête du pouvoir pure. Le désir du pouvoir pour le pouvoir a toujours été dans la conquête du suffrage, surtout dans une Constitution aussi présidentialiste que la nôtre, mais cette fois elle semble bien tenir sur pied toute seule d’un échange courtois à l’autre de ce débat des primaires, si bien que cette conversation ne peut que profiter, à l’avenir, à celui ou celle qui s’en distinguera radicalement et qui verra s’ouvrir avec plaisir devant lui un sillon de contestations et d’indignations à labourer : avec d’autant plus de violence qu’il y a une légitimité à exiger un véritable débat politique quand il est question de course présidentielle. La conversation, cette nouvelle tribune inventée avec les primaires de la droite, est, davantage qu’une euphémisation du débat démocratique déguisée sous l’étiquette louangeuse et conformiste de « débat de bonne tenue », un enterrement de première classe pour ce qui, historiquement, a toujours distingué le régime démocratique, à savoir la quête du pouvoir par la discussion entre tribunes antagonistes, pour la bonne cause, passionnément opposées les unes aux autres. Cette concorde tournée en conversation de salon s’invite trop tôt, trop vite, entre deux adversaires qui n’en sont pas au centre de la campagne : cela n’est pas de bonne augure pour le printemps 2017.

La conversation désigne aussi, en creux, le vide qui tient lieu de camp adverse : historiquement, la Gauche. Car la conversation dépassionnée, elle n’est possible que dans la toute-puissance, dans l’absence d’adversaires et c’est là et nulle part ailleurs qu’ elle puise sa force de légitimité. « Cher Alain » ne l’a pas assez entendu et son désir de moduler avec bienveillance les objectifs politiques qu’il partageait avec « Cher François » l’a desservi. En face, « Cher François » a conversé avec art la toute-puissance : conférer aux objectifs de la droite la plus dure en matière néo-libérale les atouts d’une voix conversationnelle paisible, en paix avec elle-même. Dépassionnée, la conversation de Droite est aussi « romaine » : quand tous les adversaires ont disparu, sont anéantis, un discours tout-puissant de paix peut être tenu avec bonne mesure.

Mais ce n’est pas tout. Quoique la joute oratoire semble avoir disparu pour les raisons qu’on a dites, elle a été pourtant reconduite, perfide, oblique, en sous-main, ce jeudi, ce soir de débat de dernier débat de primaires de la droite : cependant elle s’attache désormais à d’autres objets que celui de la quête du bon gouvernement. Les conversations politiques entre amis peuvent virer vinaigre, on le sait bien. Surtout, la question qui se pose quand on veut le pouvoir, en convives déjà presque attablés à la table du pouvoir, lorsqu’on n’a pas le droit ou la possibilité de contrer l’autre au moyen d’arguments d’opposition et de construction pour cause d’absence de dissensus, c’est : comment attaquer l’autre ? comment faire la différence ? Comment distinguer « Cher François » de « Cher Alain » ? Aux spectateurs était dévolue la mission de peser le pour ou le contre entre ces deux convives. Au salon, entre autres, « Cher François » converse mieux que « Cher Alain ». Moins sur la défensive, plus détendu, se payant le luxe de l’amitié en rappelant son soutien à Alain Juppé dans l’affaire de sa condamnation, courtoisie traitre, perfide, car elle consistait à augmenter le temps de parole dévolu à ce sujet, courtoisie néfaste, nuisible, donc, pour celui qui en a été l’objet, stratégie oratoire inventée dans le passé récent par un François Mitterrand. La conversation de salon fait mal en vérité. « Oui, Monsieur le Premier Ministre » in memoriam. Sans demeurer en reste, « Cher Alain » a tenté aussi d’aller dans cette direction du coup bas conversationnel en rappelant qu’il fut un temps où « Cher François » a travaillé sous sa direction et, avec plus de brutalité, en l’assimilant à Vladimir Poutine. « Cher Alain » finissant par reprocher à « Cher François » de ne pas l’avoir soutenu dans la campagne de diffamation infecte dont il a fait l’objet. Quand le fond fait défaut, reste la forme, seulement la forme, la courtoisie piégée de la forme, aussi la conversation entre candidats de la Primaire a-t-elle mis en crise ouvertement, uniquement, purement et simplement le style. Quel style choisir dans la pensée unique pour gouverner la France ? C’est la grande question qui a été adressée aux électeurs qui ont participé aux primaires. De telles stratégies, qui touchent à la définition de l’aura de l’adversaire, qui travaillent sur l’ethos de l’orateur, ont toujours existé mais là, elles ont tranquillement envahi tout l’espace de la parole : il ne resterait donc que ça ? Le style de Cher Alain contre le style de Cher François ? S’ouvre avec cette entrée stylistique un grand vide, un grande vide creusé par la naissance d’une tribune commuée en conversation : quand la posture se substitue à la position, quand la discordance stylistique fait écran à l’affrontement politique. Parions que, dans un avenir proche, ce vide ne le restera pas bien longtemps.

Scène 3 - La défense du pot-de-fleur

Ce déplacement de l’attention sur le style, sur la conversation n’est pas seulement un dégât collatéral d’une campagne présidentielle qui a déjà commencé avec la course pour les primaires. Il est intimement lié à la construction d’un espace médiatique conçu comme entre soi au sein duquel on voit évoluer des personnages dont on connaît désormais autant le parcours personnel, la vie intime que le parcours politique, nouveauté déjà un peu démodée dans la vie politique française. La question du style ne se cantonne pas à la Droite. Elle a envahi tout le champ politique et n’épargne pas les candidats des camps adverses. « Jean-Luc ! » : telle a été l’apostrophe de Daniel Cohn-Bendit à Jean-Luc Mélenchon sur le plateau télévisé le soir des élections. « Cher Jean-Luc » n’a pas apprécié lui qui cherche, à juste titre, à se distinguer absolument de la conversation. Autre indice de ce devenir-conversationnel du débat politique : la volonté affichée de redresser la dignité de la fonction présidentielle défendue par « Cher François ». La fonction pot-de-fleur du Président, c’est celle qui coïncide le plus avec l’idéal de la conversation de bonne tenue. La République a besoin de symboles et de dignité, la République a vraiment besoin qu’on se tienne bien à table. Dans cette nouvelle lecture du paysage de la parole publique, « Cher François de Gauche », président en poste, l’autre « Cher François », a déjà tout perdu aux yeux de l’électorat du « Cher François de Droite » : et cela, avant même de se lancer dans la bataille des idées, Patrick Buisson dans son livre traitre et assassin sur la séquence « Cher Nicolas » — qu’il a contribué à formater en grande partie — ne parle que de cette fonction pot-de-fleur mais à propos de « Cher Nicolas », en styliste qu’il se prétend être, et, ce qu’il n’a pas supporté, plus que tout, c’est que « Chère Carla » appelle « Cher Nicolas » « mon chouchou » sur le perron de l’Élysée.

On comprend aussi désormais pourquoi grand aussi est l’attention portée aux valeurs réactionnaires qui traitent de la famille, du mariage, de l’avortement et, avec elles, de leurs cibles ouvertement désignées que sont le mariage des homosexuels, l’adoption par les couples homosexuels, mais aussi, sous-jacente, « la vie dissolue » de « Cher François de Gauche » et de feu « Cher Nicolas » Ces valeurs défendues par « Cher François de Droite » accompagnent à merveille le style qui nait en place et lieu de tribune : car la mise en crise des styles est inséparable du déplacement des enjeux de la politique sur la terrain sur le terrain de la remoralisation de la vie publique (version haute) ou encore celui de la bonne morale (version basse). Désormais, aux argumentaires et aux programmes, on préfère les bonnes mœurs et la dignité de celui qui se tient bien à table. Certes, en passant, sont ciblées par cet exercice de moralité stylistique les mises en examen, les condamnations judiciaires, les affairismes, tout ce petit théâtre de la corruption qui agite la vie politique française et a fini par rattraper mortellement « Cher Nicolas » et « Cher Alain » : le combat politique pour le remoralisation du paysage du pouvoir ne relève pas, c’est vrai, que de la conformité à une norme de sociabilité discursive mais peut-elle s’exercer pleinement en conversation et dans la bouche d’un personnel politique largement en poste au moment quand ça corrompait à tout va ? Là où on où on attendrait des mesures, un arsenal d’outils judiciaires pour combattre la corruption, on trouve un affichage de formes et de vêtures en paroles qui ne coutent pas bien cher à celui qui en use.

 Scène 4 - Chère Marine

Au printemps 2017, puisqu’il y a de grandes chances pour que tous les candidats soient de la Droite au second tour, les électeurs auront-ils exclusivement le choix entre deux styles se contredisant au cours de conversations de bonne tenue ? « Chère Marine » ne tient aucune conversation de salon. « Chère Marine » n’est pas un homme. Elle n’a jamais fait partie d’un personnel politique élu en place depuis des années. Surtout, le personnage de « Chère Marine » n’existe pas comme celui de « Cher François ». « Chère Marine » veut le pouvoir, certes — et il y a une camaraderie de classe profonde entre elle et « Cher François » — mais elle n’a jamais tutoyé aucun de ses adversaires sur les plateaux télé. Fin de la conversation stylée, donc. Et puis « Chère Marine », le débat de bonne tenue, ce n’est pas son terrain de parole, et la fonction de pot-de-fleur du président pas sa priorité : son terrain à elle, c’est plutôt l’apostrophe, l’admonestation, l’anathème, l’attaque, plutôt que l’échange hypocrite et courtois. La bonne moralité, ce n’est pas son problème non plus à « Chère Marine », car elle n’a jamais trempé dans le marigot élyséen et gouvernemental, elle n’a donc pas besoin de se distinguer du paysage politique abîmé par les affaires par un style de bonne tenue non plus. « Chère Marine » , ce sera donc l’irruption tribunicienne dans le catalogue raisonné des conversations et des styles.

 Et là, ce sont encore d’autres dangers qui guettent la parole publique, car le vide du débat perceptible dans la conversation des primaires de la Droite est rempli depuis longtemps déjà : pour cette raison, la question de la présence au second tour de « Chère Marine » au moment où nous écrivons ne fait presque plus question. La passion, la discorde, le dissensus, tout ce qui fonde la tribune tribunicienne comme forme démocratique de la discussion politique et que la conversation semblait, en apparence, désactiver est en réalité depuis longtemps en bouillonnement dans tous les espaces de parole non institutionnalisés, hors des salons-plateaux télé. Là, l’énergie de la parole, ainsi que tous les dévoiements inhérents possibles à cette énergie de la parole publique, jusqu’à la calomnie, jusqu’à la diffamation, bouillonne selon un régime d’intensité rarement égalé allant jusqu’à transformer ce bon vieux « Cher Alain » en Ali Juppé. Et elle est en mesure d’exploser tous les degrés imaginables de l’échelle des conversations d’autant plus que les ennemis de « Chère Marine » sont les mêmes que celles de « Cher François, ceux-là même  qui, paraît-il, ont fait basculer « Cher Alain » du côté des pro-islamistes amis des mosquées, du côté obscur de la force dressée contre les lumières de la République. Parce que « Cher Alain », rebaptisé « Ali Juppé », n’a pas du tout trouvé, lui, que la campagne des primaires n’avait été qu’une « conversation de bonne tenue », contrairement à « Cher François » : en témoigne sur les réseaux sociaux la campagne calomnieuse dont il a été la cible et dont il est difficile de mesurer la puissance de nuisance à l’œuvre dans les souterrains de la conversation de salon. Avoir réussi à transformé « Cher Alain » en islamiste de service, c’est fort.

A la posture du style, correspond, avec « Chère Marine », une occupation concrète des sols qui fait craindre une campagne électorale très dure. La violence de la discussion, les polémiques qui ciblent ad hominem, et viralement, le personnel politique et, plus largement certains acteurs de la vie intellectuelle, attendent, embusquées au tournant, la bienheureuse conversation de Droite réfugiée dans sa toute-puissance aveugle et provisoire. Là, en jeu, pas du tout qu’un différentiel de styles, mais, possiblement, un affrontement dur, d’ordre passionnel, qui les mettra autrement plus en crise que sur le canapé du salon des primaires de Droite. Le pot de fleur risque bien de traverser le salon !

Fin du premier épisode