Poétique d’une révolution à venir

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Nous ouvrons ce dossier avec trois poèmes iraniens, choisis parmi tant d’autres, pour mettre en lumière le désarroi, la détresse, l’attente et la recherche de soi qui dominaient le contexte prérévolutionnaire ainsi que la désillusion et l’affliction qui ont commencé à gagner les esprits des révolutionnaires laïcs quelques mois à peine après l’instauration de la République islamique

Le premier, Brouillard (1953) est un poème d’Ahmad Shamlou (1925-2000), considéré comme le plus grand poète iranien, et aussi le plus politique. Il jouissait d’une très large popularité. Il a écrit Brouillard à l’occasion du coup d’état de 1953 en Iran qui a conduit au renversement du premier ministre Mohammad Mosadeq (celui qui a fait voter la nationalisation du pétrole iranien en 1951) et à l’arrestation de nombreux militants, des nationalistes comme des membres du parti communiste Toudeh. En raison du durcissement du régime policier et de la censure, le poète a dû recourir à un langage symbolique, un langage qui parlait cependant à toutes personnes sensibles à la situation politique du pays. Les militants, de gauche ou d’autres tendances, tous laïcs, récitaient très souvent ce poème et signaient ainsi leur engagement protestataire à l’encontre du régime de Mohammad Reza Pahlavi.

Le second, Poupée mécanique (1960) est un poème de Frough Farokhzad (1935-1967), la première poétesse iranienne contemporaine qui a eu l’audace et le courage de s’exprimer en tant que femme. Remettant en cause les traditions et éthiques religieuses qui cherchaient à enfermer les femmes, Frough Farokhzad transgressait, dans un langage poétique plein de délicatesse et de sensibilité, les interdits sur l’amour, le corps et la sexualité des femmes. Poupée mécanique est destiné aux femmes de sa génération. C’est un cri pour qu’elles se réveillent et donnent un sens à leur vie. Plutôt social que politique, dans le contexte policier, ce poème paraissait subversif. Il a été donc adopté par les militant-e-s comme un hymne chanté à diverses occasions signant ainsi leur engagement protestataire.

Enfin le troisième, Dans cette impasse (juillet 1979), est encore d’Ahmad Shamlou. Ce poème, écrit à peine sept mois après le renversement de la monarchie et la prise du pouvoir par les islamistes, tout en décrivant le contexte politique de cette période, met en lumière l’impasse dans laquelle se trouvaient les révolutionnaires.

Post-scriptum

Traductions : Brouillard par Chahrâchoub Amirchâhi et Alain Lance, Iran Poésie & autres rubriques, Paris, Maspero, 1980 ; Poupée mécanique par Valérie et Keramat Movallali, Arfuyen 1991 ; Dans cette impasse par Marie Ladier-Fouladi, à partir de celle de Chahrâchoub Amirchâhi et Alain Lance, Iran Poésie & autres rubriques, Paris, Maspero, 1980.