Brouillard

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Brouillard (1953) est un poème d’Ahmad Shamlou (1925-2000), considéré comme le plus grand poète iranien, et aussi le plus politique. Il jouissait d’une très large popularité. Il a écrit Brouillard à l’occasion du coup d’état de 1953 en Iran qui a conduit au renversement du premier ministre Mohammad Mosadeq (celui qui a fait voter la nationalisation du pétrole iranien en 1951) et à l’arrestation de nombreux militants, des nationalistes comme des membres du parti communiste Toudeh. En raison du durcissement du régime policier et de la censure, le poète a dû recourir à un langage symbolique, un langage qui parlait cependant à toutes personnes sensibles à la situation politique du pays. Les militants, de gauche ou d’autres tendances, tous laïcs, récitaient très souvent ce poème et signaient ainsi leur engagement protestataire à l’encontre du régime de Mohammad Reza Pahlavi.

Brouillard

Le brouillard s’est emparé du désert
Effacés les feux du village
Une onde chaude passe dans le sang du désert
Le désert las, lèvres closes, souffle rare, dans la fièvre folle du brouillard
Transpire doucement par tous ses pores
Le brouillard s’est emparé du désert
Murmure le voyageur.
Muet les chiens du village.
Caché dans la cape du brouillard, j’atteins la maison
Gol-kou qui ne m’attend pas
M’aperçoit soudain sur le seuil.
Une larme au regard un sourire aux lèvres
Elle me dira
Le brouillard s’est emparé du désert.
Je songeais
Si le brouillard tenait jusqu’au matin
Les audacieux quitteraient leur cache pour retrouver l’être aimé.
Le brouillard s’est emparé du désert
Effacés les feux du village
Une onde chaude passe dans le sang du désert.
Désert las, lèvres closes, souffle rare, dans la fièvre folle du brouillard
Transpire doucement par tous ses pores...

Ahmad Shamlou, 1953

Post-scriptum

Brouillard traduit par Chahrâchoub Amirchâhi et Alain Lance, Iran Poésie & autres rubriques, Paris, Maspero, 1980